Histoires d’eau – L’édito de Robin Cornet

Dans les années 90, la distribution d’eau avait été largement privatisée en Argentine. Le groupe français Suez avait décroché le contrat pour l’approvisionnement en eau de la région de Buenos Aires. Un accord sur 30 ans. Mais ça, c’était avant la crise économique qui a frappé le pays au tournant de l’an 2000 et avant l’arrivée au pouvoir des présidents Kirchner.

Pour redresser la barre, Nestor Kirchner avait choisi de renationaliser certains pans de l’économie privatisés à l'époque du libéral Carlos Menem. C'est ainsi qu'il y a 9 ans, Suez a été éjecté de la gestion de l’eau à Buenos Aires. Le groupe français s’est vu reprocher de ne pas avoir réalisé les investissements promis pour améliorer l’accès à l’eau et d’avoir, malgré cela, augmenté ses tarifs en pleine crise économique. Suez s’est justifié en soulignant que la dévaluation du peso, à cause de la crise, avait fait fondre ses recettes. Mais l’Argentine l’a mis dehors et a plus tard affirmé que le retour à la gestion publique avait permis d’apporter de l’eau à 3 millions d’habitants supplémentaires.

L’Argentine lourdement condamnée

Cependant, il y a quelques jours, le pays a été condamné à payer 400 millions d’euros de dommages à Suez pour rupture illicite du contrat. La décision a été rendue, non pas par un tribunal, mais par une instance liée à la Banque Mondiale qui est chargée d’arbitrer les différends portant sur les investissements à l’étranger.

Voilà qui vient alimenter un autre débat : celui sur l’arbitrage des litiges commerciaux à l’heure où les États-Unis et l’Europe négocient un grand accord de libre échange, le fameux traité transatlantique. L’un des points les plus contestés de ce projet de traité, c’est qu’il prévoit la mise en place d’un tribunal indépendant (ou privé) pour trancher les conflits commerciaux entre des entreprises et des États.

Les détracteurs du traité craignent qu’un tel tribunal soit trop favorable aux multinationales et que les pays perdent une part de leur souveraineté. Ils disent que les tribunaux arbitraux, appliquant le droit commercial, veillent surtout à protéger les investisseurs et ne tiennent pas assez compte de la responsabilité des États vis à vis de leurs citoyens.

Le cas de l’Argentine qui invoquait la raison d’État face à un péril grave pour reprendre en main la gestion de l’eau semble leur donner raison.

Robin Cornet

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