Lorsqu’ils se sont lancés dans cette folle aventure musicale, les membres du groupe Gotan Project étaient loin de se douter du tabac planétaire qui attendait leur premier album, La revancha del tango. Depuis, dix ans ont passé et le succès ne se dément pas. Qu’est-ce qui fait leur différence ?
Gotan Project, c’est qui ?
Petite leçon de verlan : « Gotan », c’est « tango » en verlan, et c’est aussi un terme très utilisé en Argentine pour désigner cette danse centenaire.
Mais Gotan Project, c’est d’abord une alchimie réussie entre trois musiciens aux talents et expériences diverses, qu’anime une même passion pour le rythme et la danse. En 2001, le guitariste argentin Eduardo Makaroff et les deux DJ européens Philippe Cohen-Solal et Christoph H. Müller réussissent le pari a priori fou de mélanger les machines urbaines et modernes de l'électro à l'âme écorchée vive du tango argentin sur leur premier opus, l'éblouissant La Revancha del Tango.
Immédiatement, certains puristes crient au scandale. Mais le public s’en moque et adhère à 100%. Les trois de Gotan Project, eux, ne veulent entendre parler que d'ouverture et de modernité, et sont fiers d'avoir ramené le tango sur les pistes de danse des clubs branchés. Là où les trois complices ne voient qu'une exploration artistique, Paris, puis le Portugal, l'Angleterre, l'Italie et bientôt l'Europe entière s'enivrent de cette musique. En 2006, ils réitèrent le prodige dans un deuxième album réussi et certifié double disque d'or, Lunàtico.
Un style bien à eux
En dix ans, ils ont permis au tango de revenir sur le devant de la scène, en « dépoussiérant » le genre, en « transgressant » ses codes. Ils invitent par exemple des cuivres à se joindre à la fête, ou d’autres musiques populaires latino-américaines, comme la chacarera ou la cumbia. En le remixant, l'enrichissant de boucles électroniques mais aussi de cordes, de percussions et de chants novateurs, Gotan Project n’a de cesse de célébrer le répertoire traditionnel, toujours véhicule de passion.
En concert, leur sens de la mise en scène fait aussi un tabac. Ils se produisent en costumes et chapeaux de feutre, projettent des images « made in Argentina », entre cartes postales et extraits de documentaires militants (pour rappeler qu’à l’origine le tango est porteur de contestation sociale) et sont rejoints par les argentins Gustavo Beytelmann au piano, Nini Flores au bandonéon, l'espagnole Cristina Vilallonga au chant.
Tango 3.0 : « Une bande-son idéale pour faire l’amour » ?
Le nouvel album Tango 3.0, dévoilé le 19 avril 2010, est en effet très sensuel. Tout en poursuivant leur exploration musicale, les trois copains semblent marier deux idées antinomiques : le tango et ses plus de cent années d’histoire, et le 3.0, c’est à dire l’avenir du web et de la communication. Une rencontre symbolique entre le passé et l’avenir, en somme. Ici, ils mêlent aux sonorités de Buenos Aires (sur le single La Gloria, notamment, intervient le célèbre commentateur de football argentin Victor Hugo Morales) l’électro, certes, mais aussi des bribes de blues, de jazz et de rythmes roots.
Le résultat ? Langoureux à souhait, à l’image de la pochette du CD, sur laquelle des corps de femmes nues forment le mot Gotan, en une danse charnelle, presque érotique, comme le tango. De nombreuses collaborations émaillent en outre le disque, qui toutes sonnent juste : l’écrivain Julio Cortàzar dit un extrait de son roman Rayuela, Cristina Vilillonga offre sa voix captivante en alternance, la violoniste Line Kruse, le bandonéoniste Nini Flores, le pianiste Gustavo Beytelmann, l’orgue Hammond de Dr John… Tous viennent rajouter leur grain de sel à un album ciselé entre Paris et Buenos Aires, entre la patine des premiers rythmes originels et le travail sur ordinateur, marque de fabrique désormais du trio franco-suisse-argentin.
Le groupe, amateur de bandes originales de films, se dit prêt à étudier les propositions en ce sens : « On aimerait une BO estampillée Gotan Project ». Qu’on se le dise !