Le cinéaste est aujourd'hui à la tête d'une poignée d'écolodges en Amérique latine, de palais en Argentine et en Italie, qu'il a imaginés comme une collection de films d'auteur. Rencontre à Londres.
Dans le restaurant du Claridge's, Francis Ford Coppola s'affaire à prendre des nouvelles de sa petite-fille Gia qui enchaîne les fittings londoniens. « J'ai fait le tour du monde avec elle quand elle avait 7 ans, tout comme Sofia, Giancarlo et Roman ont vécu avec nous aux Philippines sur le tournage d' Apocalypse Now [Sofia allait à l'école chinoise, sur place, du haut de ses 5-6 ans - NDLR]. J'aime garder mes proches dans mon giron », lance le patriarche qui veille sur enfants et petits-enfants en « parrain ». Et c'est sans aucun doute ce sang italien qui lui vaut aujourd'hui d'être à la tête d'une famille d'hôtels baptisés prosaïquement Coppola Resorts. Plus maisons de famille que véritables hôtels, les resorts, palais et écolodges sont le reflet, trait pour trait, de la philosophie de vie du grand cinéaste. « Vous voulez faire rire Dieu? Parlez-lui de vos projets! », lance Francis Ford Coppola, amusé. « Si on m'avait dit un jour que j'aurais une collection d'hôtels entre Belize, le Guatemala, l'Argentine et le sud de l'Italie, j'aurais ri. Je suis tombée dedans par plaisir et enthousiasme - soit dit en passant le plus gratifiant des moteurs dans la vie. C'est parce que je dis constamment oui à tout que je ne me suis jamais rendu compte de ce qui m'attendait! », lance-t-il joyeusement, non sans penser au « oui » qui a uni en 2011 Sofia et Thomas Mars dans le Palazzo Margherita, à Bernalda, un village du sud de l'Italie. C'est la dernière propriété en date acquise par le patriarche, un palais de neuf suites richement décoré par Jacques Grange.
Pour Francis Ford Coppola, une chose est incontestable : l'enthousiasme et le show-business sous-tendent l'industrie du cinéma hollywoodienne. Se prendre au jeu de l'hôtellerie et mettre en scène des univers distincts coulait alors de source pour cet enfant de Detroit : « À l'écran comme dans l'hôtellerie, le vocabulaire est le même : il faut trouver un lieu unique - si possible abandonné! -, écrire un scénario pour lui redonner vie, composer un décor, imaginer des lumières qui reflètent une atmosphère précise, mener un casting de choix pour recruter le directeur général qui donnera corps et âme au lieu. Cette dernière étape est clé : comme on choisit un premier rôle qui va percer l'écran, il faut avoir du flair, de l'intuition », analyse Francis Ford Coppola, non sans avouer qu'il s'y est souvent pris à trois voire à cinq fois pour trouver le bon « chef d'orchestre » pour ses hôtels. Choisir un manager qui a une expérience hôtelière dans un palace n'a effectivement aucun sens au milieu de la jungle, car il faut pouvoir dialoguer avec les communautés indigènes, trouver des solutions de fortune ou négocier avec un gouvernent corrompu. Il en va de même dans le sud de l'Italie où la nature humaine réserve toujours quelques surprises - un oncle alcoolique qui s'invite dans le paysage, une femme de chambre qui fait de la magie noire... « Dans des lieux reculés, le directeur de l'hôtel est plus que le premier rôle, il est le shérif : il incarne la loi. Ce que l'on apprend rarement dans une école hôtelière. Il ne faut pas se fier aux apparences, car tout est finalement une question de personnalité, de droiture d'esprit et de charisme », ponctue le cinéaste. « Quand j'en ai eu marre de faire du cinéma pour rembourser mes dettes, l'hôtellerie m'a semblé un nouveau terrain d'exploration. J'ai toujours été le New Kid, celui qui dès 14 ans imaginait des spectacles, repoussait les limites de ce qui existait. Dès que je pouvais expérimenter, je me sentais considéré, se souvient le réalisateur. Je n'ai jamais pensé de manière académique, mes actes n'ont jamais vraiment eu de logique propre. Alors, dans l'hôtellerie comme pour mes vignobles, j'ai avancé, suivi mes envies, dit oui - souvent trop vite et trop fort -, j'ai investi, reconstruit quand un ouragan se présentait, élargi quand l'horizon semblait plus vaste. J'ai imaginé des hôtels comme on avance dans la vie : sans faire de business plan! »
C'est mû par une envie de se perdre au milieu d'une végétation luxuriante que Francis Ford Coppola s'enfonce dès 1981 dans la jungle de Belize, qui vient juste d'acquérir son indépendance. Le climat subtropical philippin des plateaux de tournage d' Apocalypse Now lui manque, il cherche un relais plus près de chez lui pour écrire en paix. Loin de tout. Ce qui est aujourd'hui connu comme l'écolodge Blancaneaux était à l'époque une simple construction indigène sans électricité ni téléphone, à une heure de 4x4 de la moindre route pavée. Francis Ford s'y retire donc dans les années 1980 pour peaufiner ses scripts à la bougie. Il y est rapidement rejoint par sa famille : ses deux garçons Roman et Giancarlo, alors adolescents, s'en donnent à coeur joie, tandis qu'Eleanor, pragmatique, est un peu plus réticente à y passer du temps, car Blancaneaux manque de tout. Ensemble, néanmoins, ils commencent à l'aménager, l'agrandissent et y font venir du personnel pour l'entretenir. Le lodge peut désormais accueillir des amis, d'autres amis, puis des amis d'amis... Les bases de Coppola Resorts sont jetées. Manque alors l'accès à la mer : en 2000, Francis et sa femme Eleanor acquièrent Turtle Inn, en vue du village de pêcheurs de Placencia, sur la côte caribéenne de Belize; une saison plus tard, le lodge est intégralement détruit par l'ouragan Iris. Les vingt-cinq villas érigées depuis dans un style balinais (en respect avec l'environnement) assoient la légitimité hôtelière de Coppola Resorts avec tout ce qu'il faut de confort moderne. Située au Guatemala, à une heure du nord de la frontière de Belize, la troisième propriété du couple, La Lancha, fut rachetée à un couple de Français en 2003 : proche des ruines de Tikal et de la réserve de biosphère Maya, elle parfait un séjour dans la région. Jungle, plage et archéologie : ce trio de propriétés n'a pas d'équivalent dans la région.
Outre la géographie, il flotte dans chaque lieu un sentiment de dolce vita italienne, une volonté de réunir son clan autour d'une table. À l'entrée de Blancaneaux, un jardin potager bio de 1,5 hectare se colore de tomates, de roquettes, de betteraves et de concombres en saison; mieux, il rend le lodge quasiment autosuffisant en fruits et légumes. Au Turtle Inn, la cuisine créole anime le restaurant Auntie Luba's Kitchen, tandis que les pêcheurs de la côte y déposent chaque jour leurs meilleures prises. Et puis il y a le vin, depuis toujours une passion pour Francis Ford et Eleanor qui, dès 1975, ont ajouté vignobles et voyages récurrents dans la Napa Valley à leur portefeuille de projets. Si Francis a acheté des parcelles d'Inglenook Vineyards - un vignoble réputé fondé en 1879 par le navigateur et commerçant finlandais Gustave Niebaum - avec les recettes du film Le Parrain, il n'a cessé depuis d'investir dans le vignoble jusqu'à racheter, en 2011, la marque Inglenook et recruter Philippe Bascaules (ex-Château Margaux) en qualité de directeur général. Il y produit aujourd'hui les meilleurs vins de la région. Et, là encore, on est tenté de croire à un scénario familial : son grand-père, Agostino Coppola, faisait déjà du vin dans la cave de son immeuble, à New York. « Après la dernière crise, le bonheur semblait n'exister qu'autour des tables, se souvient Francis Ford Coppola. Tous se sont mis à inviter leurs amis chez eux, à prendre des cours de cuisine comme s'ils découvraient le Nouveau Monde. En Italie, nous avons toujours vécu ainsi : en mettant des produits du jardin et une bonne bouteille sur la table, en rassemblant les siens et quelques vieilles histoires, pour faire du monde un lieu toujours plus vaste. Je ne suis pas nostalgique, je crois que cette définition simple du bonheur fait toujours recette. En tout cas chez nous. Ce sont ces moments passés ensemble qui composent le Grand Album de la Vie. »
C'est une véritable collection particulière d'hôtels que Francis Fort et Eleanor Coppola ont constituée depuis 1993 : Blancaneaux est caché dans la jungle tropicale; Turtle Inn est situé sur la côte caribéenne de Belize; La Lancha, au Guatemala, est proche du patrimoine archéologique maya; et le Jardin Escondido se découvre comme une authentique résidence de charme au coeur de Palermo Soho, à Buenos Aires. Perle de l'ensemble, le Palazzo Margherita réveille l'ancrage italien de la famille à Bernalda, dans l'Italie du Sud. Bientôt une maison méditerranéenne, une villa sur le Bosphore ou un riad? Le couple continue d'explorer à Tunis d'où la mère de Francis est originaire, à Istanbul, carrefour des cultures, et au Maroc.
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