Durant la Copa America, notre envoyé spécial au Chili raconte ses souvenirs d'Amérique du Sud. Pour cette dernière chronique, il évoque Juan Roman Riquelme, le controversé meneur de jeu argentin, idole de Boca Juniors mais jamais consacré en sélection.Buenos Aires. Dans une petite ruelle du quartier de la Boca, non loin de la Bombonera, se trouve un discret mural, ces peintures que l’on trouve sur les murs ou les rideaux de fer des boutiques. On y voit Diego Maradona enlever son maillot de l’équipe d’Argentine, et laisser apparaître celui de Boca Juniors, floqué aussi du n°10 et d’un simple Roman. Comme Juan Roman Riquelme, son successeur sur la pelouse de la Bombonera et en Seleccion, son héritier parfois génial et souvent irritant. Est-ce un sacrilège de dire que les deux joueurs ont une filiation technique? Vu d’Europe, oui, semble-t-il, tant Riquelme a récolté pendant des années des critiques – parfois justifiées – sur sa lenteur, sa nonchalance, son absence de palmarès quand il y jouait (Barcelone, Villarreal) et sa tendance à disparaître des grands affiches.
Vu d’Amérique du Sud, le constat est très différent. En Argentine et bien au-delà, il est considéré comme l’un des plus grands meneurs de jeu de la riche histoire du continent. On loue son inventivité, dans le dribble ou la passe, sa vision laser, sa précision sur coup franc et sa fidélité aux deux clubs de sa vie, Argentinos Juniors et Boca Juniors. Son palmarès est d’ailleurs loin d’être ridicule: des titres nationaux en pagaille, trois Copas Libertadores et une Coupe Intercontinentale avec Boca, des distinctions individuelles à n’en plus finir.Pourtant, le mystère Riquelme demeure entier. Distant avec les médias, fâché avec pratiquement tous ses entraîneurs au fil de sa carrière, achevée fin 2014 en contribuant à ramener Argentinos Juniors en D1, ce lunatique personnage au visage souvent fermé n’a jamais été facile à gérer ni à décrypter. Pour faire l’unanimité, ce qu’il n’a d’ailleurs jamais recherché, il lui aurait fallu s’imposer en équipe nationale. Il y a joué onze ans (1997-2008), avec des coups de gueule, des claquements de porte et aussi quelques prestations fabuleuses. On pense à la Coupe des confédérations 2005, au Mondial 2006 ou à la Copa America 2007, où absolument tous les ballons passaient par lui. Du toque, encore du toque, parfois jusqu’à l’excès, jusqu’à un brutal changement de tempo, une fulgurance née de son inspiration. Un rateau, une roulette, une ouverture de 35 mètres, un une-deux à la géométrie sidérante, peu importe: c’était beau.
Mais il a toujours manqué quelque chose pour Riquelme soulève un trophée sous le maillot albiceleste. Chapitre le plus cruel pour les admirateurs du grand Roman inachevé: le quart de finale face à l’Allemagne, en 2006, à Berlin. L’Argentine mène 1-0 sur un but d’Ayala après un corner de Riquelme, puis son gardien, Abbondanzieri, se blesse. Le sélectionneur argentin, José Pekerman, le remplace par Franco puis sort Riquelme, fatigué, à vingt minutes de la fin, pour faire entrer Cambiasso. L’Allemagne égalise et s’imposera ensuite aux tirs au but. Une fois de plus dans un choc international, El Ultimo Diez, le dernier n°10, a raté son rendez-vous avec le très haut niveau. "Pecho frio" répondent ses détracteurs, poitrine froide littéralement, joueur insensible et pas concerné pourrait-on traduire. Pas assez de cœur à l’ouvrage, voire d’attributs situés plus bas dans l’organisme?
Depuis quelques moins loin des terrains, l’ancien meneur de Boca a emporté son mystère et son génie à éclipses loin de l’agitation médiatique qui s’abat désormais sur Lionel Messi. Il a fait rêver les uns, enrager les autres, et pour ça aussi il faut aimer Juan Roman Riquelme.
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