Durant la Copa America, notre envoyé spécial au Chili raconte ses souvenirs d'Amérique du Sud. Cette fois, retour sur les difficultés d'approcher et plus encore d'interviewer un certain Diego Armando Maradona, notamment quand il fut le rocambolesque et insaisissable sélectionneur de l'équipe d'Argentine, entre fin 2008 et l'été 2010.Décrocher un entretien digne de ce nom avec Diego Armando Maradona est une ambition louable mais à ce jour inassouvie, même s’il ne faut jamais insulter l’avenir. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé lors de plusieurs déplacements en Argentine, notamment quand il était sélectionneur de l’équipe nationale, entre la fin 2008 et l’été 2010. Comment fait-on pour approcher l’insaisissable idole sans avoir un lien direct avec lui ou son entourage? Il faut d’abord s’armer de patience, prendre la température auprès de confrères argentins proches de Maradona ou d’anciens coéquipiers en club ou sélection. Trouver la bonne filière au bon moment, car Maradona change régulièrement d’entourage ou de collaborateurs, au gré de ses humeurs assez imprévisibles.
Débute alors une longue période de coups de fil, de messages vocaux ou de mails envoyés comme des bouteilles à la mer en espérant un hypothétique retour. Habitué à se confier à quelques journalistes argentins de confiance qu’il connaît depuis parfois près de 40 ans, El Diez répond aussi de temps à temps aux radios de Buenos Aires et une ou deux fois par an à des chaînes étrangères aux poches assez profondes. La rumeur évoque régulièrement un cachet de 100 000 dollars pour une demi-heure d’interview "exclusive" comme on dit maintenant. Est-ce exact?
Après avoir fait chou blanc entre 2006 et 2008 lors de premières approches indirectes, toujours avec zéro euro de budget car telle est la louable politique maison, nos espoirs remontent un peu quand Maradona est nommé sélectionneur de l’Albiceleste. Et même davantage lorsqu’on apprend que l’Argentine doit affronter l’équipe de France à Marseille, au stade Vélodrome, en février 2009. Quelques semaines avant le match amical, les contacts pris avec la Fédération argentine (AFA) pour aller le rencontrer à Buenos Aires restent vains. Une fois à Marseille, la délégation de l’AFA s’installe dans un des meilleurs hôtels de la ville, avec vue imprenable sur la Méditerranée. La veille de la conférence de presse de Maradona prévue pour l’ensemble de la presse, argentine et française, le champion du monde 1986 décide comme il le fait parfois à l’improviste de s’adresser quelques minutes à l’hôtel aux principaux médias argentins, toujours avides de sa parole sur tout sujet, du 4-3-3 à la santé de Fidel Castro en passant par l’avenir de Boca Juniors.
Il n’est jamais facile de savoir quand Maradona va parler. Il faut attendre des heures dans les halls d’hôtel de la sélection, espérer un coup de chance, être au bon moment au bon endroit. Ce fut ainsi le cas à Marseille. «Il arrive, il va nous dire quelques mots rapidement, ce n’était pas prévu mais il décide toujours tout seul, sans en parler au chef de presse de l’AFA ou aux dirigeants. C’est comme ça, c’est Diego!» alerte un collègue argentin plutôt fataliste. On s’engouffre alors dans un salon de l’hôtel, un peu à l’intox, en suivant la demi-douzaine de journalistes habitués à ce type d’apparition improvisée.Par courtoisie ou plus sûrement par timidité, on leur laisse poser une dizaine de questions sur l’actualité du moment, le match amical face aux Bleus, puis on se lance enfin pour interroger Maradona dans un espagnol de bon aloi sur son vrai-faux transfert à l’OM près de vingt ans plus tôt. Plutôt souriant, le débit rapide et la silhouette un peu boudinée dans un survêtement qui écorne un peu l’image du mythe, il répond sans donner de signe de lassitude. «Mais j’étais un joueur de Marseille ! Corrado Ferlaino (alors président de Naples) n’a pas voulu que je parte, mais j’avais un contrat signé avec Bernard Tapie…» Pas de quoi écrire trois pages ni d’alerter CNN pour un Breaking News, mais tout de même une accroche assez forte pour un entretien publié le lendemain dans L’Equipe.
Quelques mois plus tard, à l’approche du Mondial sud-africain pour lequel l’Argentine s’est difficilement qualifiée, on retente notre chance en sollicitant une interview directement auprès de Fernando Molina. Ce jeune homme âgé d’environ 25 ans aux airs d’étudiant débonnaire travaille depuis quelques mois à la Fédération argentine comme responsable presse personnel de Maradona, créant pas mal de jalousies en interne. Son CV est en effet assez mince, mais il est aussi le petit ami de Dalma, l’une des deux filles de Diego.
Quelques mails sont échangés avec Molina, et voici le best of de ses réponses. «Nous aimerions beaucoup faire plaisir à tout le monde en acceptant toutes les demandes d’interview mais comme il n’y a pas assez de temps, nous tentons d’opter pour des entretiens exclusifs (…) Diego sera en Europe en janvier (2010) et l’idée est d’organiser quelques rencontres de 30 minutes dans un lieu à définir et avec un cachet de 100 000 euros pour les télévisions (…) Comme vous êtes un média écrit, j’aimerais que vous me fassiez une contre-proposition pour que je puisse dire à Diego de combien on est en train de parler.» En v.o. «para decirle a Diego de cuanto estamos hablando»…
Au moins, Molina ne s’embarrasse pas de périphrases et affiche le tarif, même si Maradona est alors salarié par l’AFA et pas vraiment dans le besoin. Il n’y a jamais eu de contre-proposition et quelques années plus tard, si Molina a disparu de la circulation, nous, on attend toujours Diego…
- Diego Armando Maradona