Fin de règne à la Casa Rosada

Son allocution télévisée, assise dans un fauteuil roulant pour cause de fracture, à côté d'une tendre photo d'elle et de son défunt mari, Nestor Kirchner, n'a pas calmé l'Argentine. Pas plus que la promesse brandie à l'écran de réformer les services secrets auxquels Cristina Kirchner imputait la responsabilité de la mort du procureur Alberto Nisman, le 18 janvier dernier, à la veille de sa comparution devant le Congrès. Le magistrat devait y faire des révélations sur les arrangements commerciaux entre la présidente et l'Iran, au préjudice d'une enquête sur un attentat contre la mutuelle juive AMIA qui avait fait, en 1994, 85 morts à Buenos Aires.

L'attentat contre AMIA est au c'ur d'une longue enquête multiforme qui met en cause non seulement des pressions de Cristina Kirchner mais aussi l'un de ses prédécesseurs, Carlos Menem, président de 1989 à 1999, sur fond de suspension de transferts de technologies nucléaires vers l'Iran et de mesures de rétorsion décidées à Téhéran et exécutées par le Hezbollah.

400.000 personnes ont défilé, silencieusement, dans les rues de la capitale et des milliers dans d'autres villes du pays, hier, un mois après la mort de Nisman, alors que l'enquête officielle s'oriente vers un suicide. Pour les partisans du gouvernement, le procureur Nisman aurait été manipulé par un responsable controversé des services secrets, Antonio Jaime Stiuso, écarté par Cristina Kirchner en décembre.

Les Argentins qui manifestaient hier – essentiellement des couples et des personnes âgées issus des classes moyennes et aisées – ont exprimé, eux, leurs doutes sur les causes de la mort du magistrat et dénoncé « la corruption » du régime, alors que s'achève le second et ultime mandat de Cristina Kirchner, élue en 2007, à la suite de son mari, Nestor, désigné en 2003.

Douze années de kirchnérisme sont sur le point de prendre fin mais la gauche qui soutient, non sans quelques dissidences, la présidente, s'est ressoudée derrière elle dans l'espoir de conserver les clefs de la Casa Rosada, l'Élysée argentin. Mais la personnalité de la locataire partante et l'état du pays risquent de lui compliquer la tâche.

26 e puissance économique mondiale et troisième d'Amérique latine, derrière le Brésil et le Mexique, l'Argentine, qui recense 41 millions d'habitants, ne s'est pas vraiment complètement sortie de la crise économique qui l'a mise à genoux entre 1998 et 2002. Les fonds « vautours » qui lui avaient permis de se restructurer – dans la douleur – se sont rappelés, l'an passé, au bon souvenir de Buenos Aires. Le pays est depuis le 30 juillet 2014 en situation de défaut de paiement sélectif (uniquement sur sa dette émise en devise étrangère) et les perspectives économiques pour 2015 ne sont pas fameuses.

Les contrariétés se sont succédé pour la présidente. Cristina Kirchner, qui a fait de son pays le premier d'Amérique du Sud à légaliser le mariage homosexuel, a ainsi dû faire contre mauvaise fortune bon c'ur lorsque le très puissant archevêque de Buenos Aires, Jorge Maria Bergoglio, l'un de ses adversaires les plus redoutables, a accédé, le 13 mars 2013, au trône de saint Pierre en devenant sous le nom de François, le premier pape jésuite et sud-américain de l'histoire et l'une des figures mondiales les plus populaires des dernières décennies…

Et un tweet en faux chinois, évoquant, au début du mois, ce que l'on pourrait traduire par « le liz et le pétlole », a déchaîné les internautes du monde, même si Pékin, troisième partenaire commercial de l'Argentine, s'est officiellement gardé de tout commentaire sur cette bourde de belle taille.

Yves Carroué

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