A 54 ans, Diego Maradona a pris position dans la campagne pour la présidence à la Fédération internationale de football (FIFA). Lundi 14 septembre, sur la chaîne de la télévision napolitaine PiuEnne, l’icône argentine a apporté officiellement son soutien au prince jordanien Ali Ben Al-Hussein, qui défiera dans les urnes l’ex-numéro 10 des Bleus Michel Platini, le 26 février 2016, lors du comité extraordinaire électif de l’institution mondiale. « Si c’est lui qui devait gagner l’élection, je serai à ses côtés en tant que vice-président », a déclaré l’ancien meneur de jeu de l’Albiceleste (91 sélections entre 1977 et 1994).
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« El Pibe de oro » (le gamin en or) a critiqué avec virulence le patron sortant du football mondial, 79 ans, en poste depuis 1998, et dont l’abdication programmée à dans cinq mois résulte de la litanie d’affaires de corruption qui secouent la FIFA. « Mais, moi, je ne suis pas un voleur. Je suis en dehors de tout ça parce que quelqu’un du nom de Blatter m’a fermé toutes les portes. Blatter a fait beaucoup de mal au foot et, avec Platini, ils ont créé une comédie, a-t-il assuré, éreintant au passage celui qui fut le conseiller et l’allié du patriarche suisse avant de devenir son principal opposant. Ils font semblant d’être séparés, un à la Fifa et l’autre à l’UEFA, alors qu’en fait ils ont toujours été l’un à côté de l’autre. » Et d’enfoncer le clou : « Blatter n’a pu qu’apprendre à voler à Platini. »
Une haine à l’égard de Blatter
Il faut dire que le champion du monde 1986 abhorre tout particulièrement Blatter, entré à la FIFA en 1975 comme directeur des programmes de développement avant de devenir, en 1981, le secrétaire général de l’autocrate brésilien Joao Havelange, patron de la Fédération internationale de 1974 à 1998. « Sepp Blatter est un dictateur à vie, avait asséné Maradona, à la fin de mai, dans les colonnes du journal anglais The Daily Mail. Sous son règne, la FIFA est devenue une honte et une douloureuse gêne pour nous autres qui aimons le football. » Le 8 juin, au micro de la chaîne America TV, l’ex-meneur de jeu du FC Barcelone (1982-1984) et de Naples (1984-1991) avait à nouveau tancé le Valaisan : « Blatter a peur du FBI et de la police suisse, qu’on le sorte menotté du siège de la FIFA. »
Il soutenait alors déjà le prince Ali, tout juste battu (133 voix contre 73) du 29 mai. « Si le prince Ali gagne, j’ai de grandes chances de devenir vice-président de FIFA. Si j’y arrive, je vais tous les faire dégager », menaçait-il. Le quinquagénaire s’en était également pris à Michel Platini, membre du comité exécutif de la FIFA depuis 2002. « Platini devra s’expliquer sur les 187 matches qu’il a arrangés, il me l’a dit à Dubaï », avait perfidement déclaré le natif de Lanus, dans la banlieue pauvre de Buenos Aires, pourtant présent lors du jubilé de « Platoche », organisé à Nancy. « Platini et Maradona ont joué en Italie au même moment. Il y a une véritable guerre d’ego entre les deux », explique un fin connaisseur de la FIFA.
A la fin de juillet, Maradona avait déjà tancé la Fédération internationale : « Assez de corruption, assez de vols ! Attention, j’arrive ! Quand je reviendrai, je reviendrai avec tout à faire, je reviendrai pour la Fifa, (…) je reviendrai pour ma famille qui a tant souffert comme moi. »
Un temps tenté par une candidature
Alors que la course à la succession de Blatter pourrait s’apparenter à une lutte entre deux anciens meneurs de jeu, Platini et l’ex-légende brésilienne Zico, l’ancien capitaine de la sélection argentine, qui avait un temps songé à être candidat. En juin, le journaliste et auteur uruguayen Victor Hugo Morales avait annoncé sur Twitter que son ami « Diego » allait se lancer, lui aussi, dans la course.
Le 2 juin, quelques heures après l’annonce de l’abdication prochaine de « Sepp Blatter », le président vénézuélien Nicolas Maduro avait exhorté l’ex-capitaine de la sélection argentine à se présenter. « Maradona doit devenir président de la FIFA, l’organisation doit être dirigée par un footballeur, avait déclaré le successeur de Hugo Chavez, disparu en 2013 et proche de l’ancien joueur. Maradona dénonce les abus de la FIFA depuis des décennies et eux (les dirigeants de la FIFA) l’ont menacé et ont ri de lui. »
Nécessitant le parrainage de cinq fédérations nationales, Maradona, qui a entraîné le club d’Al Wasl (Dubaï), lors de la saison 2011-2012, aurait pu notamment lorgner sur le soutien des Emirats arabes unis, outre celui du Venezuela. Confident et admirateur de Fidel Castro, l’Argentin aurait par ailleurs pu obtenir l’appui de la Fédération cubaine.
Démis de ses fonctions de sélectionneur de l’Albiceleste en juillet 2010 au sortir d’un Mondial sud-africain raté, il n’aurait certainement pas reçu le soutien de la Fédération argentine (AFA), ébranlée par le scandale de corruption à la FIFA. Honni par « El Pibe del oro », Julio Grondona, son dirigeant défunt (1979-2014), n’était-il pas soupçonné d’avoir profité de la générosité du Qatar en échange de son vote en faveur du petit émirat, le 2 décembre 2010, lors du vote d’attribution du Mondial 2022 ?
L’ancien « parrain » du foot argentin intéresse la justice suisse à la suite d’un match amical organisé, le 17 novembre 2010, à Doha, entre le Brésil et l’Albiceleste. L’AFA aurait alors touché une commission de 7 millions d’euros. L’ex-vice-président senior et patron de la Commission des finances de la FIFA est par ailleurs accusé d’avoir autorisé, en 2008, un versement suspect de 10 millions de dollars. Ce virement avait été fait par le comité sud-africain d’organisation du Mondial 2010 au Trinidadien Jack Warner, alors patron de la Confédération d’Amérique du Nord, centrale et des Caraïbes (Concacaf) et actuellement au cœur de la tempête judiciaire qui secoue la FIFA.
En juin, Maradona avait accusé Grondona d’avoir annoncé à sa sélection que son chemin « s’arrêtait ici », juste avant le coup d’envoi de la finale du Mondial 1990, perdue (1-0) par l’Argentine contre l’Allemagne. « Grondona était corrompu comme beaucoup d’autres fonctionnaires de la FIFA, insiste un ancien compagnon de route de Blatter. Maradona est ainsi sur la même ligne que l’ex- joueur brésilien Romario : il a eu le sentiment de devoir s’opposer aux officiels du foot. C’est parfois justifié, parfois exagéré. »
La FIFA et la chute de l’idole en 1994
Pour comprendre les positions radicales de l’idole envers la FIFA et de ses dirigeants, il faut remonter au Mondial 1994, organisé aux Etats-Unis. A quelques mois de la compétition, Carlos Menem, le chef de l’Etat argentin (1989-1999), exige le retour en sélection de Maradona, dont il est très proche. Le prodige végète alors aux Newell’s Old Boys et sa carrière tourne au ralenti depuis son départ de Naples, en 1991. Cette année-là, Il est arrêté par la police italienne après avoir été contrôlé positif à la cocaïne. La Fédération italienne lui inflige ensuite une suspension de quinze mois. Affûté, Maradona, 33 ans, entame admirablement cette « World Cup » en inscrivant un but d’anthologie lors du triomphe (4-0) de l’Albiceleste contre la Grèce (2’05 dans la vidéo).
Victorieux (2-1) du Nigeria, le 25 juin au Foxboro Stadium de Boston, Maradona est tiré au sort, en compagnie du remplaçant Sergio Vasquez, pour l’habituel contrôle antidopage d’après-match. Le 28 juin, une première analyse révèle la présence d’éphédrine dans les urines de la turbulente idole. « Un produit qui accroît les facultés de concentration et les capacités physiques », comme l’affirme alors le Belge Michel d’Hooghe, responsable de la commission médicale de la FIFA. Un produit que le médecin de la sélection argentine n’a pas inscrit sur la liste de médicaments remise avant le coup d’envoi de la rencontre à la Fédération internationale.
A la demande du joueur et des dirigeants de la Fédération argentine (AFA), une contre-expertise est réalisée, le 29 juin, dans un laboratoire de Los Angeles. Cette seconde analyse renforce les premiers résultats et atteste de la présence de cinq produits différents, dont quatre dérivés d’éphédrine. « Le doute n’est pas permis : il y a dopage », assure alors Michel d’Hooghe.
« Ce n’est pas seulement un cas de dopage, c’est aussi un problème humain »
Sur décision de l’AFA, l’icône est alors écartée de la sélection et assiste, en tribunes, à la défaite (2-0) de son équipe contre la Bulgarie, le 30 juin, puis, le 3 juillet, à son élimination (3-2) par la Roumanie, en huitièmes de finale. Maradona connaît ainsi le même sort que le Haïtien Ernest Jean-Joseph (1974) et l’Ecossais Willie Johnston (1978), convaincus de dopage et exclus d’une Coupe du monde.
« Ce n’est pas seulement un cas de dopage, c’est aussi un problème humain, une question de morale, compte tenu des difficultés que ce joueur a déjà connues. Il n’y a pas urgence à prendre des sanctions, déclare à l’époque Joseph Blatter, en première ligne sur ce dossier sensible. Nous verrons après la Coupe. Quant à savoir si tout cela affectera le succès de l’épreuve, vous serez, vous, journalistes, les seuls juges en la matière. »
« Je suis triste, assurait alors de son côté le président brésilien de la FIFA (1974-1998) Joao Havelange. J’espérais que la contre-expertise apporterait des résultats différents. J’aime les joueurs comme mes fils ou mes petits-fils… Nous ne pouvons mentir. Les faits ne mentent pas. Nous avons des règlements à appliquer. Nous devions agir ainsi pour le fair-play et la justice. »
« Blatter a joué un grand rôle lors du contrôle de Maradona »
Le 24 août 1994, les treize membres du bureau de la Commission d’organisation de la Coupe du monde de la FIFA décident à l’unanimité de suspendre pour quinze mois Maradona, lui infligeant par ailleurs une amende de 20 000 francs suisses. Ce dernier choisit de mettre un terme à sa carrière. En tant que récidiviste, l’Argentin risquait pourtant une radiation à vie. Le préparateur physique et diététicien du joueur, Daniel Cerrini, est, lui, suspendu deux ans pour avoir administré au joueur le « cocktail » de stimulants à base d’éphédrine. La Fédération argentine de football écope, elle, d’une « mise en garde pour manque de vigilance ».
« Le médecin chef de la FIFA Jiri Dvorak et Blatter ont joué un grand rôle lors du contrôle de Maradona en 1994 pour qu’on connaisse le cas et qu’il ne soit pas enterré, confie au Monde un ancien pilier de la FIFA. Et quel cas ! Parce que Havelange et Grondona voulaient le mettre sous le tapis en faisant croire que Maradona était blessé afin qu’il reparte en Argentine. Maradona fut au foot et à la FIFA ce que Ben Johnson (contrôlé positif au stanozol lors des JO de 1988) fut à l’athlétisme. Depuis Maradona voue une véritable haine à Blatter. Il lui en veut à mort car il estime qu’il a foutu en l’air sa carrière. » L’icône argentine choisit finalement de la poursuivre, à Boca Juniors, avant d’y mettre un terme en 1997.
En 2001, les relations entre Maradona et Blatter se réchauffent lorsque le président de la FIFA propose à l’icône argentine, sujette à des problèmes d’accoutumance à la cocaïne, une mission à Cuba. Mais le projet n’aboutit pas en raison de l’état de santé de l’ex-joueur. Depuis, la haine d’« el Pibe del oro » à l’égard du patriarche du foot mondial n’a fait que s’accroître.
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