Falcao, le tigre doux comme un agneau

 Falcao, le tigre doux comme un agneau29/10/2012 - 05:33

L’attaquant colombien de l’Atletico Madrid est un serial buteur, un joueur sans pitié pour les défenses adverses. Mais dans la vie de tous les jours, c’est un homme doux qui brille par sa discrétion. Portrait.

À l’époque, Radamel Falcao Garcia avait encore les dents du bonheur, des cheveux courts et un visage d’adolescent. Falcao n’était pas encore un homme et pourtant, il marquait déjà l’histoire du football colombien. Le Tigre avait 13 ans et 112 jours très exactement, lorsqu’il a débuté sa carrière, en deuxième division, avec son club de Lancaros Boyaca. Jamais un joueur colombien n’a été aussi précoce. Ce jour-là, il a eu droit à sa toute première interview à la télévision. Ses propos sont mesurés, il donne l’impression d’avoir déjà, la tête sur les épaules. Non loin de lui, son père, Radamel Garcia, est fier comme un pape, mais il sait bien que ce n’est que le début d’une grande carrière, d’une grande histoire…

Car le paternel, un ancien défenseur colombien à l’honnête carrière, a toujours rêvé d’avoir un fils footballeur. "Mais tu dois jouer au poste d’attaquant, lui disait-il, car ce sont eux les plus riches." Alors, patiemment, il a poli ce diamant brut. Plusieurs fois par semaine, il emmenait son fils sur les plages de Santa Marta, sur la côte caribéenne colombienne, pour des séances d’entraînement très spécifiques : tirer fort et avec précision des deux pieds, conduite de balle du droit comme du gauche et surtout, taper le ballon avec sa tête et avec force afin de travailler ce timing qui est aujourd’hui l’une de ses grandes forces.

"Il a un mental de footballeur argentin"

Falcao est un pur produit du football sud-américain. Il est né en Colombie, a grandi au Venezuela et, à 15 ans, il est entré au centre de formation de River Plate, le géant argentin. "Pour moi, affirme Pancho Maturana, l’ex-sélectionneur colombien, Falcao a bien fait de partir en Argentine. Car aujourd’hui, il a un mental de footballeur argentin. Il n’a peur de rien et a toujours envie de gagner." À River Plate, dans les catégories inférieures, il forme un duo d’attaque explosif avec Gonzalo "Pipita" Higuain. Pendant trois saisons, il fait exploser les compteurs avant de débuter en première division argentine. Partout où il est passé, Falcao a fait l’unanimité pour son sérieux et sa gentillesse.

C’est en Argentine que sa vie bascule. Loin de sa famille, il se forge un mental de champion. Car c’est à Buenos Aires qu’il aura connu, seul, le premier gros coup dur de sa carrière. Une grave blessure (rupture des ligaments croisés du genou droit) l’éloigne des terrains pendant dix mois. Une éternité pour une pépite à qui tout le monde prédit une carrière majuscule.

Déprimé, déboussolé, Falcao finit par trouver du réconfort auprès de Dieu, dans une église évangélique de la capitale argentine. "Si je n’ai pas laissé tomber, si je me suis accroché comme jamais, c’est grâce à Dieu. Je lui dois ma carrière. Depuis ce moment-là, c’est la foi qui me guide. Je prie avant chaque match, je lis la Bible et je parle tous les jours avec Dieu." Cette étape de sa vie est fondamentale pour comprendre sa carrière. Car à l’Eglise, Radamel Falcao aura également rencontré la femme avec qui il partage encore aujourd’hui sa vie.

"Derrière le premier, les autres sont des perdants"

En dehors du football, Falcao a une vie de moine. Il se couche, chaque soir avant 23 heures, ne boit pas d’alcool et respire pour le football 24 heures sur 24 et 365 jours sur 365. Car derrière son petit air angélique, Falcao est un tueur au sang froid, un attaquant obnubilé par le but et qui rêve de s’installer au sommet du football mondial. Petit à petit, il y arrive. L’adage familial, que son père lui répète depuis sa plus tendre enfance, est bien ancré dans son cerveau : "Il y a le premier et puis il y a les autres. N’oublie jamais que derrière le premier, les autres, ce sont tous des perdants."

C’est pour cette raison que, lorsque l’heure du match approche, le doux agneau se transforme en Tigre. "Le matin, vous le voyez, il est décontracté, très avenant, très gentil, témoigne l’un de ses coéquipiers dans le journal El Pais. Au déjeuner, déjà, il commence à se mettre dans sa bulle. Sur le chemin pour aller au stade, Falcao se transforme, son regard n’est plus le même. Et lorsqu’il sort du vestiaire, toujours en dernier, là, tu ne le reconnais plus. Le contraste est saisissant. Il ne pense plus qu’au match et qu’au but. Il devient un animal de compétition."

Falcao "joue avec le coeur"

Sans faire de bruit, Falcao s’immisce doucement mais sûrement, dans la lutte infernale que se livrent Messi et Cristiano Ronaldo. En terme de statistiques, il n’a rien à leur envier. Cette saison, il a même dépassé les deux meilleurs ennemis du football mondial. C’est lui, l’attaquant le plus efficace d’Espagne. Quand Cristiano Ronaldo a eu besoin de frapper 54 fois au but pour en inscrire 9, lui, n’a tiré que 28 fois pour le même nombre de buts. "Falcao n’a rien à envier à personne, affirme son entraîneur Diego Simeone. Depuis deux saisons, il a remporté deux Europa Ligue avec deux équipes différentes, a terminé à chaque fois comme le goleador de la compétitions et a inscrit un triplé contre Chelsea lors de la Supercoupe d’Europe. Il est aujourd’hui l’un des trois meilleurs joueurs du monde."

Diego Simeone n’est pas le seul à penser que Falcao est un Ballon d’Or en puissance. La saison dernière, Pep Guardiola avait déclaré : "Il a l’instinct du buteur, la technique des deux pieds et un jeu de tête extraordinaire. C’est le meilleur attaquant de surface du monde." "Falcao a quelque chose de spécial pour un attaquant de son standing , assure Juanfran son coéquipier. Il joue avec le cœur." Avec lui, l’Atletico Madrid, se remet à rêver d’un titre de champion d’Espagne. Les Colchoneros ne pensaient pas qu’un joueur pourrait faire oublier aussi vite la paire Agüero-Forlan, un duo d’attaque qui a marqué l’histoire du club. En tout cas, Falcao a réussi son pari, qui paraissait impossible au départ, de faire de l’Atletico un candidat sérieux au titre.

Mourinho en rêve et Mendes est son agent...

Aujourd’hui, les plus grands clubs du vieux continent sont prêts à débourser des sommes astronomiques pour le faire venir chez eux. Car il est encore moins cher (mais pour combien de temps ?) que Messi ou CR7. Il se dit à Madrid que Mourinho rêve de l’avoir dans ses rangs. Une opération pas impossible puisque Falcao est conseillé par Jorge Mendes, l’agent numéro un du Real (Di Maria, Pepe, CR7, Coentrao, Mourinho, etc…). En tout cas, ce sont les dirigeants de l’Atletico qui peuvent se frotter les mains. Car, à 26 ans, Falcao n’a pas fini de prendre de la valeur. En deux saisons, son prix a été multiplié par huit. En 2009, Porto l’a acheté pour 5 millions d’euros avant de le revendre 40 millions aux madrilènes. Et aujourd’hui, combien vaut-il ? Et demain ?

"Falcao n’arrête pas de progresser, affirme Mostaza Merlo, l’entraîneur qui lui a donné sa chance à River Plate. Il sait faire évoluer son jeu. Simeone lui a appris à se sacrifier et à mettre beaucoup d’intensité dans ses matches." Dernière preuve de cette évolution permanente : il y a deux semaines, contre la Real Sociedad, il a inscrit le premier but sur coup franc de sa carrière. Petit à petit, Falcao devient donc un attaquant sans failles, un joueur complet. "Mais pour moi, l’attaquant parfait, prétend le Colombien, aurait le pied gauche de Messi, le droit de Cristiano Ronaldo et le jeu de tête de…. et pourquoi pas le mien ? Je ne suis pas maladroit de la tête, non?" Trois noms qui incarnent aujourd'hui le gratin du football mondial.

Alexandre JUILLARD

Journaliste indépendant, spécialiste du football latino-américain, Alexandre Juillard a passé presque sept ans sur les bords du Rio de la Plata, à Buenos Aires, dans la ville où le football coule dans les veines de tous ses habitants. Réalisateur, il a écrit une biographie sur Diego Maradona, "un magicien mais aussi la plus grande gueule que le football a mis au monde", dit-il.

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