En pleine déroute économique, l’Argentine dévalue fortement le peso

La présidente argentine, Cristina Kirchner, entourée du ministre de l’économie, Alex Kicillof (à droite), et du chef de cabinet des ministres, Jorge Capitanich, à Buenos Aires, mercredi 22 janvier.

La situation économique de l'Argentine se dégrade dangereusement. Jeudi 23 janvier, le gouvernement a laissé le peso se déprécier de plus de 13 % face au dollar, la plus forte baisse enregistrée sur une journée depuis 2002. Le taux de change a ainsi franchi la barre symbolique des 8 pesos pour 1 dollar. Un choc pour les Argentins, habitués à la parité peso-dollar dans les années 1990.

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Sur les trois premières semaines de 2014, le cours du peso a chuté de 18,6 %, après s'être effondré de 24 % en 2013. « Tout cela est de nature à aggraver l'inflation », s'inquiète Alfonso Prat-Gay, l'ancien gouverneur de la banque centrale du pays. Plusieurs instituts de conjoncture privés estiment que les prix devraient flamber de 5 % sur le seul mois de janvier, et de plus de 30 % sur l'année 2014.

Le taux de change est également passé à 13 pesos pour 1 dollar sur le marché noir, où la population, qui n'a plus confiance dans la devise, s'approvisionne en billets verts. Traumatisés par la faillite de 2001 et les périodes d'inflation forte qui ébranlent le pays depuis quarante ans, les Argentins ont effet pris l'habitude d'épargner en dollar.

La dévaluation était réclamée par les entreprises exportatrices, désirant vendre leurs produits à des prix plus compétitifs à l'international. La décision des autorités, brutale, a néanmoins dérouté les observateurs. « Nous assistons à un changement de stratégie du gouvernement, estime Juan Pablo Rondero, économiste au cabinet d'études Abeceb.com. Il est passé à un traitement de choc, car la dévaluation graduelle des dernières semaines n'a pas été suffisante. »

Il n'a pas vraiment eu le choix : les réserves de change du pays s'épuisent. Depuis début 2011, elles ont fondu de 52 à 29 milliards de dollars (38 à 21 milliards d'euros), car la banque centrale du pays y a régulièrement puisé afin de soutenir le peso. Comme ces réserves sont désormais trop faibles pour qu'elle puisse continuer, le gouvernement s'est résolu à la dévaluation rapide.

ERREURS DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE

La dégradation de l'économie argentine s'est accélérée depuis le printemps 2013, lorsque la Réserve fédérale américaine a annoncé qu'elle allait réduire ses injections de liquidités dans le système financier mondial. Les investisseurs ont alors rapatrié leurs capitaux vers les Etats-Unis, déclenchant une tempête sur les devises des pays émergents.

Mais si l'économie argentine est aujourd'hui aussi mal-en-point, c'est surtout à cause des erreurs de politique économique commises après la faillite de 2001. La forte croissance enregistrée entre 2003 et 2009 (9 % par an) était en effet principalement due à l'envolée des cours des matières premières exportées par le pays, soja en tête.

Grâce à cela, Buenos Aires a accumulé un excédent commercial et des réserves de change record qui lui ont permis de se financer sans faire appel aux marchés financiers depuis. Mais le pays n'a pas profité de ces années fastes pour diversifier son industrie et renforcer sa compétitivité. Résultat : quand la croissance mondiale s'est tassée après la crise de 2008, le pays a dû piocher dans ses réserves pour financer ses dépenses, rembourser sa dette et régler ses importations énergétiques.

HÉMORRAGIE

Pour stopper la fonte de l'excédent commercial et la fuite des capitaux, la présidente Cristina Kirchner a, dès 2011, imposé un contrôle des changes. Sans succès. Depuis, elle multiplie les mesures désespérées pour stopper l'hémorragie. Mercredi, le gouvernement a ainsi renforcé les règles visant à décourager les achats à l'étranger sur Internet. Pour contourner le problème de l'inflation, les Argentins multiplient en effet depuis quelques années les commandes sur les sites de ventes hors du pays, comme eBay ou le site chinois Alibaba.

Désormais, ils devront remplir une déclaration sous serment et récupérer leurs colis à la douane. Une procédure visant à s'assurer qu'ils paient bien la taxe de 50 % du montant de la facture imposée au-delà de deux achats de 25 euros à l'étranger. Jusque-là, ils évitaient de payer en demandant à l'expéditeur de préciser « échantillon gratuit » sur les paquets…

Ces mesures, qui ne font qu'augmenter la colère des Argentins, ne suffiront pas, jugent les économistes. « Les erreurs de politique économique de la dernière décennie ont conduit le pays au bord d'une nouvelle crise de balance des paiements », résume Neil Shearing, chez Capital Economics, à Londres.

Si la fuite des devises se poursuit, Buenos Aires ne sera en effet plus en mesure de régler sa facture énergétique et les échéances de sa dette. Il doit encore 10 milliards de dollars au Club de Paris, qui regroupe les Etats, dont la France, qui lui ont accordé un prêt après la déroute de 2001. La Cour suprême américaine doit également déterminer si le pays devra rembourser les 1,5 milliard que lui réclament les fonds spéculatifs qui avaient racheté une partie de sa dette, après la faillite de 2001.

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