En Argentine, revendications sociales après la flambée des prix et la …

Manifestation à Buenos Aires contre la hausse des prix de l’essence, le 13 février.

Un calepin à la main, ils circulent dans les rayons des supermarchés, inspectant les prix de chaque gondole. Ce ne sont pas des clients mais des membres de la Campora, le mouvement de jeunes militants créé par Maximo Kirchner, le fils de la présidente argentine, Cristina Kirchner, pour soutenir le gouvernement péroniste et jouer éventuellement les forces de choc dans les manifestations.

Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet article habituellement réservé aux abonnés du Monde.fr.
Profitez de tous les articles réservés du Monde.fr en vous abonnant à partir de 1€ / mois | Découvrez l'édition abonnés

Mme Kirchner a décidé de les incorporer à la campagne « Prix surveillés », lancée par le gouvernement à la suite d'accords signés, en janvier, avec les grandes surfaces et qui établissent, dans tout le pays, un prix fixe pour quelque 80 produits de base. Ce gel limité des prix tente de freiner la forte inflation depuis le début de l'année, après la dévaluation du peso qui a perdu environ 20 % de sa valeur face au dollar. Mme Kirchner rejette la faute sur les entrepreneurs qui, selon elle, augmentent arbitrairement les prix « par spéculation et par avarice ».

Lire l'analyse : L'Argentine doit rembourser sa dette

Le gouvernement a déjà infligé des amendes, à hauteur de 3,5 millions de pesos (324 000 euros), à plusieurs grandes surfaces, parmi lesquelles le français Carrefour, le groupe chilien Vea et le géant américain de la distribution WalMart. La présidente a publiquement accusé Carrefour et la chaîne argentine Coto de ne pas respecter les accords sur les prix. Des affiches avec la photo des présidents de plusieurs chaînes de supermarchés tapissent les murs de Buenos Aires, accompagnées de la légende : « Voici ceux qui volent dans votre porte-monnaie ».

LE GEL DES PRIX N'A QU'UN EFFET LIMITÉ

Mme Kirchner a néanmoins admis que le gel des prix n'a qu'un effet limité, estimant que : « C'est le consommateur, lui-même, qui doit faire valoir ses droits et refuser d'acheter les produits qui augmentent. » Pour que les consommateurs dénoncent les abus, le gouvernement a installé deux lignes gratuites de téléphone. Il y a eu plus de 100 000 appels en quelques jours. « Le processus de formation des prix en Argentine présente un problème structurel lié à la concentration économique, avec des prix imposés par les monopoles », a expliqué le chef de cabinet de la présidence Jorge Capitanich.

Le 13 février, le ministre argentin de l'économie, Axel Kicillof, a présenté un nouvel indice des prix à la consommation, élaboré à la demande et sous la supervision, depuis plusieurs mois, du Fonds monétaire international. Selon ces nouvelles statistiques, les prix ont augmenté de 3,7 % en janvier, soit « la plus forte augmentation mensuelle depuis douze ans », a souligné le quotidien conservateur La Nacion.

Pendant sept ans, le gouvernement a nié l'inflation et manipulé les chiffres de l'Institut national des statistiques (Indec). Le nouvel indice n'est, de fait, pas si éloigné des estimations des agences privées, qui calculent une inflation de 4 % à 6 % en janvier. Mais M. Kicillof estime que ces chiffrages privés « ne sont pas scientifiques et ont un fort contenu politique ». Le nouvel indice obligera le gouvernement à revoir également les chiffres sur la pauvreté. Officiellement, 4,7 % seulement des Argentins sont pauvres. En revanche, pour l'Université catholique argentine, il y a 10 millions de pauvres, soit un quart de la population.

A Buenos Aires, les syndicats sont sur le pied de guerre. L'inflation a dévoré les salaires. Des négociations salariales, avec le gouvernement et le patronat, doivent avoir lieu en mars. Elles s'annoncent houleuses. Tous les yeux sont tournés vers Hugo Moyano, le puissant dirigeant du Syndicat des camionneurs, péroniste mais opposé au gouvernement Kirchner. Il dénonce un gouvernement qui, en avançant de faux chiffres de l'inflation, « masquerait » les baisses de pouvoir d'achat dont seraient victimes les travailleurs. Il menace d'une grève nationale, accompagnée de manifestations et de barrages routiers, pour exiger 35 % d'augmentation des salaires alors que le gouvernement propose 25 %.

PRÉAVIS DE GRÈVE

La rentrée des classes (des vacances d'été), le 5 mars, semble compromise. Les syndicats d'enseignants avaient, il y a peu, déposé un préavis de grève pour ce jour-là. Mercredi 26 février, ils ont certes décidé de suspendre la grève. Mais ils se prononceront définitivement le 3 mars. A Santiago del Estero (nord-est), plus de 2 000 enseignants ont manifesté, à la mi-février, et ont été durement réprimés par la police. Le salaire de base d'un enseignant est inférieur à 200 euros…

Surnommé « le Gros » ou « le Parrain », M. Moyano a multiplié les contacts politiques avec les principales figures de l'opposition, le maire de droite de Buenos Aires, Mauricio Macri, le socialiste Hermes Binner ou encore les barons du Parti radical. Il négocie un plan de lutte syndical en commun avec Pablo Micheli, le dirigeant de la Confédération des travailleurs argentins (CTA), branche antigouvernementale, regroupant péronistes et secteurs de gauche.

A l'image des partis d'opposition, les syndicats sont divisés. M. Micheli critique les vacillations de M. Moyano. Il a annoncé, pour sa part, des mouvements de protestation dans toutes les provinces, le 5 mars, et une grève générale le 12 mars. Plus à gauche, les syndicats non péronistes, opposés à la CTA et à la Confédération générale du travail (CGT), réclament un salaire minimum égal au panier de la ménagère, soit plus de 9 000 pesos (833 euros) un ajustement mensuel et automatique et une somme compensatoire de 3 000 pesos.

De son côté, Antonio Calo, le secrétaire général de la CTA, allié du gouvernement, peine à concilier la « modération » dans les revendications, exigée par Mme Kirchner, et les attentes des travailleurs.

LA PRODUCTION INDUSTRIELLE A  DIMINUÉ DE 3 % EN JANVIER

Pour sa part, l'Union industrielle argentine (UIA), qui regroupe les grands entrepreneurs, est inquiète face à un climat social explosif. L'économie a affiché une croissance de 4,9 % en 2013, selon l'Indec, mais le ralentissement s'est accentué durant le dernier trimestre, laissant présager une diminution encore plus prononcée de l'activité en 2014.

Autres indices préoccupants : l'excédent de la balance commerciale est tombé de 279 millions de dollars (204 millions d'euros) en janvier 2013 à 35 millions en janvier 2014. La production industrielle a aussi diminué de 3 % ce même mois.

Le changement de cap économique opéré par l'Argentine, avec une dévaluation du peso que réclamaient les milieux d'affaires et qui a rompu avec une politique coûteuse de soutien à la monnaie, est interprété comme la volonté du gouvernement de renouer des relations avec les institutions financières internationales et de pouvoir ainsi accéder à des crédits. Car plus de dix ans après le défaut de paiement du pays, le contentieux avec les créanciers de l'Argentine n'est toujours pas soldé.

En trois ans, les réserves en devises de la banque centrale ont chuté de 52 milliards à 27 milliards de dollars. Pour renflouer les caisses, le gouvernement mise sur une importante entrée de billets verts dans les prochains mois, grâce aux exportations de grains, en particulier du soja, qui, ces dernières années, a été le moteur d'une croissance « à la chinoise », de 9 % en moyenne.

Alors que la rentrée de mars s'annonce chaude dans l'hémisphère austral, à Rome le pape François, a démenti avoir convoqué, le 17 mars au Vatican, une réunion avec des représentants du gouvernement, des responsables syndicaux et des industriels, pour aider au dialogue dans son pays, comme l'avaient annoncé deux quotidiens argentins.

Open bundled references in tabs:

Leave a Reply