Le nouveau président de l’Argentine, Mauricio Macri (centre droit), prend ses fonctions, jeudi 10 décembre, dans un climat tumultueux. A la suite d’un différend, très médiatisé et inédit, la présidente sortante, la péroniste Cristina Kirchner, a décidé de ne pas assister à la traditionnelle cérémonie d’investiture, avec remise du bâton de commandement et de l’écharpe présidentielle à son successeur. Mme Kirchner voulait que la cérémonie se déroule au Congrès, mais M. Macri souhaitait, selon la coutume, qu’elle ait lieu à la Casa Rosada, le palais présidentiel. Une grande confusion régnait, mardi soir, parmi les délégations étrangères invitées à Buenos Aires pour l’événement.
Au-delà de cette bataille protocolaire aux allures de vaudeville, une longue liste de défis attend M. Macri. Pendant la campagne électorale, ce dernier avait promis le « changement », après les douze années Kirchner (2003-2015), caractérisées par un protectionnisme qui a isolé l’Argentine sur la scène internationale. Elu au second tour de la présidentielle, le 22 novembre, M. Macri l’a emporté avec une faible marge (51,4 % des voix contre 48,6 % pour le péroniste Daniel Scioli). Ce résultat étriqué – depuis l’instauration du suffrage universel direct, tous les présidents ont été élus dès le premier tour –, dans une société très polarisée politiquement et une économie en berne, complique sa tâche.
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Négociation au coup par coup
A Buenos Aires, la victoire de M. Macri, premier président à n’être ni péroniste ni issu de l’Union civique radicale (UCR, centre gauche), partis qui ont alterné au pouvoir depuis soixante-quinze ans, est attribuée à un profond rejet du style de gouvernement de Cristina Kirchner plutôt qu’à un véritable soutien à l’ancien maire de Buenos Aires. Le nouveau gouvernement ne disposera d’aucune majorité au Congrès. En outre, la plupart des gouverneurs des provinces appartiennent aux rangs péronistes et d’autres forces locales.
Au sein de sa propre coalition, M. Macri devra soupeser la solidité de son alliance avec l’UCR, la formation la plus ancienne d’Argentine, qui n’entend pas être reléguée à un second plan. Cela obligera le nouveau président à un dialogue permanent, à une négociation au coup par coup. Il a d’ailleurs commencé par nouer une alliance avec le secrétaire de la Confédération générale du travail (CGT), le péroniste Hugo Moyano, opposé aux Kirchner. Ce « pacte social » avec les syndicalistes prévoit une trêve des revendications en échange d’une réforme fiscale allégeant les bas salaires.
Le nouveau gouvernement dispose d’une visibilité limitée de la situation, car les chiffres officiels étaient manipulés depuis plusieurs années. M. Macri a promis une « pauvreté zéro », alors que celle-ci touche près de 30 % de la population, d’après les estimations privées. Il s’est engagé à ramener l’inflation de 40 % à 5 % par an d’ici quatre ans. A cela s’ajoute un besoin urgent d’argent, car les caisses de la Banque centrale sont vides. Les réserves de devises sont tombées sous la barre des 30 milliards de dollars (27 milliards d’euros).
Pour remettre l’économie en marche, M. Macri propose la libéralisation du marché des changes (jusqu’ici sévèrement contrôlé), la réduction de l’émission monétaire et la diminution des dépenses publiques, qu’il attribue à la « mauvaise gestion » et à « la corruption » du gouvernement Kirchner. Le secteur agricole bénéficiera d’une baisse des taxes sur l’exportation.
En libérant le contrôle des changes, M. Macri espère un flux de devises provenant des exportations agricoles, qui sont la principale ressource du pays. Les exportateurs retiennent une récolte évaluée à 4,5 milliards de dollars (4 milliards d’euros), dans l’attente d’une dévaluation. Le gouvernement veut aussi négocier avec les grandes banques d’investissement des prêts pour 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros).
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Programme d’austérité
Le nouveau président n’a pas caché qu’un programme d’ajustement et d’austérité est incontournable. La dévaluation risque d’entraîner une hausse des prix et donc le mécontentement. M. Macri a promis de ne pas toucher aux programmes d’aide sociale en faveur des plus démunis, en attendant de créer de nouveaux emplois. De façon progressive, il entend supprimer les subventions à l’énergie et au transport mises en place après la crise de 2001, qui font des tarifs argentins de gaz et d’électricité les plus bas au monde.
Affirmant ne pas être « un illuminé qui a toutes les solutions », M. Macri avait appelé à « un travail d’équipe ». La composition du gouvernement reflète sa personnalité. Ingénieur et fils d’un capitaine d’industrie, il a choisi non pas des politiciens, mais des représentants du secteur privé. « Un gouvernement de gestionnaires », dit-on à Buenos Aires. Le ministre des finances, Alfonso Prat-Gay, ancien président de la Banque centrale et membre de la Coalition civique (centre gauche), a travaillé pour la banque d’investissement JP Morgan. Celui de la production, Francisco Cabrera, a fait carrière au sein dans la finance.
L’homme chargé de coordonner l’équipe économique, Gustavo Lopetegui, vient de la compagnie d’aviation Lan. Celui de l’énergie, Juan José Aranguren, ancien PDG de Shell Argentine, a précisé que la compagnie pétrolière YPF, renationalisée en 2012, resterait aux mains de l’Etat. M. Macri a intégré des personnes venant d’autres partis. Et il a maintenu à la tête du ministère de la science et des technologies Lino Barañao, nommé par Cristina Kirchner, afin d’assurer la continuité d’une politique appréciée par les chercheurs.
Un défi majeur est d’en finir avec la restructuration de la dette argentine. M. Macri est partisan de la négociation avec les créanciers, qui bloquent l’accès du pays aux financements internationaux. M. Prat-Gay a assuré que des émissaires se rendraient à New York, dès cette semaine, pour reprendre le dialogue et trouver une solution au conflit opposant depuis dix ans Buenos Aires et les « fonds vautours », ces fonds d’investissements spéculatifs refusant toute restructuration de la dette, qui avait été acceptée par 93 % des créanciers.
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