Pourquoi vous en parle-t-on ?
43 millions de gens pratiquement coupés du monde depuis 14 ans, et dont nous connaissons les capacités lorsqu’ils sont unis, convenablement gouvernés et reliés au monde.
Le paysage politique depuis 2001 a été extrêmement hostile à la 3e économie d’Amérique Latine. Confrontés à une stagflation persistante, aux souvenirs d’un défaut majeur sur la dette souveraine, et surtout à un contexte péroniste-protectionniste, les investisseurs internationaux ont détourné leur attention du pays (d’ailleurs, les élections n’ont pratiquement pas été évoquées par les banques d’affaires et les sociétés de gestion jusqu’à lundi dernier…). La baisse des prix des matières premières, les carences institutionnelles et les incertitudes monétaires (il existe 3 taux de changes vis-à-vis du dollar US en Argentine, avec des écarts considérables entre eux, et plusieurs taux d’inflation…) ont provoqué sur place un désir de changement, et le changement c’est maintenant : retour du centre-droit, et surtout retour d’un plus grand pragmatisme.
L’arrivée de Macri au pouvoir change vraiment la donne. Surtout qu’il vient de nommer l’excellent Federico Sturzenegger à la tête de la banque centrale. L’étiquette de "paria financier" pourrait tomber enfin, et les capitaux argentins qui bronzaient à Miami ou qui blanchissaient partout ailleurs pourraient revenir (on parle de 300 milliards de dollar US, tout de même : c’est deux fois le PIB annuel du pays).
N’oublions pas que le capital humain est important en Argentine, et là encore mal exploité jusqu’à présent. On y a vu naître un pape, des intellectuels de grande valeur, et pas seulement Léo Messi : rien à voir avec le Brésil où la population n’ouvre jamais un livre et où le moindre Bac+2 en finance exige d’être traité comme le nouveau Warren Buffet. Nous sommes en présence d’une énorme classe moyenne éduquée qui souhaite tourner la page. On comprend que le pays peut désormais se positionner comme un marché émergent avec beaucoup de potentiel, au lieu d’assister en spectateur-internaute à la mondialisation.
Tout ce potentiel gâché pendant 15 ans va pouvoir se déployer à nouveau. Le retour des investisseurs domestiques et internationaux dans un pays qui n’est pas endetté rejoint ce que nous vous disions sur le Mexique, et contraste fortement avec le Brésil et avec une longue liste de pays qui deviennent de plus en plus populistes et nombrilistes (Russie, Turquie, Afrique du Sud, France…).
Les legs Kirchner et les enjeux à venir
Après douze années de pouvoir, le couple infernal Kirchner se voit enfin karchérisé, mis au placard. Mais leurs péchés ont de longues ombres.
A part le narcotrafic et l’inflation, peu de choses se sont développées à Buenos-Aires ces dernières années. La recette Kirchnérienne a fonctionné dans les premiers temps : le lundi on plante les créanciers, le mercredi on s’appuie sur la hausse des matières premières pour distribuer l’argent aux copains sans rien mettre en réserve, le vendredi on fausse les statistiques d’une façon tellement grossière que même Hugo Chavez et Michel Sapin trouvent que c’est de la gourmandise.
Les termes de l’échange ont évolué très favorablement de 2003 à 2008, puis ils ont connu une évolution plus décevante et erratique (pour valider notre scénario hostile aux commodities, sans doute ?), ce qui a rendu les fins de mois et l’équation clientéliste kirchnérienne de plus en plus difficile à boucler.
Jusque-là, les entrepreneurs ont dû faire face à des autorités anti-business. Il était pratiquement impossible d’épargner sur le sol national. L’accumulation du capital n’était, il est vrai, pas très bien vue. Importer était aussi toute une affaire. Il était par exemple obligatoire d’exporter à due proportion de ce qu’on importait, pour ne pas affecter le solde commercial. Cela signifiait que le concessionnaire automobile BMW qui importait ses pièces devait se faire en parallèle viticulteur et exporter son vin. C’est dire si ni Adam Smith ni Ricardo n’étaient en odeur de sainteté : refus de l’insertion dans les échanges internationaux, régression même par rapport au principe de la spécialisation productive. Les politiques interventionnistes de contrôle des changes et des échanges ont faussé l’allocation du capital et pénalisé les entreprises argentines, et même d’autres entreprises qui auraient apprécié de pouvoir rapatrier des bénéfices et des dividendes vers leurs sièges après avoir eu le courage de rester sur place.
Et, pour couronner le tout, le secteur privé ne pouvait pas se fier aux données officielles, totalement fantaisistes. Sur un plan statistique, le carnaval économique et financier était toujours à la limite du zoo de l’absurde, et l’inversion de la courbe de la fraude était toujours remise au lendemain. Par exemple, sur l’inflation, notre seule source fiable est une source académique informelle, celle de l’Université Torcuato diTella. Qui place l’inflation autour de 30%/an en moyenne depuis des années, contre 10 à 15% pour les apparatchiks kirchnéristes. Nous attendons du mieux très vite sur ce front (Macri a décidé que sa première mesure serait de faire le ménage au niveau de l’INSEE local, l’Indec), ce qui au passage contribuera à détendre les relations avec le reste du monde et avec le FMI.
Les deux candidats avaient affiché leur rupture avec le gouvernement sortant. Mais le résultat de dimanche dernier est d’autant plus encourageant que Macri se positionne clairement pour la réforme. Sa priorité : le réajustement des taux de changes et le démantèlement du contrôle des capitaux. Nous ne pourrions pas dire mieux. Il est primordial de commencer par abaisser la prime de risque et de réinstaurer une certaine liberté du côté des investissements. Mano en la mano avec la reprise en main de l’inflation. Du côté du taux directeur (Badlar) déjà connu pour sa volatilité et son imprévisibilité, il est à craindre que tout soit possible à court terme, vers le haut (hypothèse d’un "choc Volcker" pour envoyer le signal d’une mise à mort de l’inflation) comme vers le bas (si la confiance revient rapidement). Même remarque à propos des taux de changes.
Quels sont les risques ? (nous devons faire comme les autres et tenter de nous protéger, mais en fait nous n’y croyons pas)
Certains problèmes vont se maintenir : la forte exposition du pays aux matières premières est un boulet qu’il faudra bien trainer. Certaines corporations maintiendront leurs rentes. La corruption est trop bien enracinée pour disparaitre dans le cadre d’un mandat de quatre ans. Et nettoyer les écuries d’Augias est un travail pénible et qui expose à la découverte de nombreuses "surprises" dans les comptes.
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