Ambassadeur incontestable du cinéma argentin, Pablo Trapero revient sur le devant de la scène avec un drame social alarmant, Elefante blanco. Posant son regard sur les bidonvilles de Buenos Aires, le cinéaste n’y va pas par quatre chemins : il dépeint froidement le quotidien des quartiers désœuvrés, où la corruption, la violence et la pauvreté rivalisent de cruauté. Un appel à la raison, chirurgical.
À l’instar de la Corée du Sud, l’Argentine fait partie de ces nations qui se posent désormais comme les nouveaux moteurs du septième art. Les cinéphiles se souviendront sans doute que Juan José Campanella a remporté l’Oscar du meilleur film étranger en 2010, avec l’excellent thriller policier Dans ses yeux. Et que, l’année suivante, Pablo Giorgelli se faisait un nom avec un road movie délicieusement taiseux, Les Acacias, glanant d’ailleurs au passage bon nombre de récompenses. Ils n’auront pas plus oublié le travail de Carlos Sorin (Historias minimas) ou de Maria Victoria Menis (El cielito), deux réalisateurs méconnus, qui alimentent pourtant avec talent le surprenant registre des drames sociaux argentins. À cette aune, mépriser l’influence de cette industrie florissante reviendrait au mieux à porter des œillères.
Elefante blanco signe le retour en force d’un autre géant du cinéma argentin : Pablo Trapero, le metteur en scène des monuments que sont Leonera et Carancho. Entouré – une nouvelle fois – de Ricardo Darin, véritable star nationale, et de Jérémie Renier, le cinéaste bénéficie indéniablement d’un casting de premier plan, apte à porter son long métrage là où il le souhaite.
Au cœur des bidonvilles
Pablo Trapero plante sans détour son récit au centre des bidonvilles argentins, y filmant tant la misère, la brutalité et la corruption que la guerre insatiable des gangs. Il dresse le portrait de deux prêtres tiers-mondistes, n’hésitant par ailleurs jamais à heurter leur bienveillance au désespoir ambiant. Car Elefante blanco se sert de ses personnages comme d’un canal vers les abysses humains, où la gangrène prend tour à tour le visage des narcotrafiquants, des policiers ou des politiques, et se confond souvent avec les plus simples sentiments primaires – la haine, la peur ou la détresse.
En focalisant son attention sur ceux qui s’attachent à préserver le tissu social au sein des quartiers déshérités, Elefante blanco laisse entrevoir, par ricochet, le découragement, le désenchantement et l’absence de perspectives qui poussent les hommes à étouffer toute lueur d’espoir dans l’œuf. Et Trapero va même plus loin : il laisse crier la foule comme un seul homme, effaçant ainsi les individualités pour mieux amalgamer les sentiments, renforçant l’idée d’une désillusion générale, personnifiée par des émeutiers sous l’emprise de leur toute-puissante colère.
La voix du cœur
Elefante blanco nous raconte surtout la plus belle des histoires d’amour, celle entre un homme, Pablo Trapero, et son pays, l’Argentine. C’est la raison pour laquelle chaque image sonne comme un cri du cœur. Mis en exergue par une maîtrise technique implacable – notamment un travail d’orfèvre sur la lumière –, les plans se révèlent au moins aussi percutants que le propos. Si l’on regrettera quelques longueurs et un surplus de pathos, on ne peut néanmoins pas faire la fine bouche : Elefante blanco questionne avec pertinence les hommes, leurs convictions, leurs rêves et leurs limites, avec le désespoir pour seul cadre de vie.