El Clan : l’histoire des rançonneurs de Buenos Aires

Adolescent au moment où éclata le scandale du clan Puccio, du nom d'une famille bien sous tous rapports qui, en réalité, pratiquait de sordides enlèvements contre rançon, Pablo Trapero rêve depuis longtemps d'imaginer "quelque chose" avec ce fascinant fait divers. "L'affaire paraissait très opaque au début, mais j'avais l'intuition que ce serait un excellent point de départ de scénario", explique le cinéaste argentin, aujourd'hui l'un des plus réputés de son pays (Leonera, Carancho, Elefante blanco). "L'histoire me trottait toujours dans la tête lorsque j'ai commencé mes études de cinéma, mais les événements et les rencontres m'ont conduit ailleurs."

En 2013, contraint de remiser un tournage prévu en Inde, il décide de revenir à "l'affaire" malgré les réticences de nombreux protagonistes rencontrés auparavant, qu'ils soient liés au clan Puccio ou aux victimes. "Beaucoup m'ont prié de laisser tomber. Ce fut très troublant pour moi, par exemple, d'entendre certains dire que c'était une famille ordinaire, des gens respectables, en somme." Comme le montre El Clan, Alejandro, l'aîné des enfants Puccio, était alors un jeune rugbyman adulé, une vedette montante. La mère, elle, était une enseignante sans histoire, donc respectable. "Quant au père, tout ce que certains pouvaient retenir contre lui, c'est qu'il était un maniaque de la propreté, un obsédé du balai… Depuis, de par son caractère paradoxal, l'affaire est devenue un cas d'école en criminologie."

Confusion angoissante

Lorsqu'il commence à échafauder son scénario, Trapero doit démêler les faits, éplucher le dossier d'instruction et d'innombrables coupures de presse, braver les avis de ceux qui croient encore à l'erreur judiciaire. "On s'est retrouvés à mener une véritable enquête de voisinage, allant sonner à la porte des maisons voisines de celle des Puccio, rencontrant les copains de rugby d'Alejandro."

Une expérience qui conduit Trapero à finalement raconter les événements dans le désordre chronologique, afin d'aviver une sensation de confusion angoissante. "L'idée était de partager avec le spectateur mon trouble à mesure que je découvrais moi-même l'ampleur dramatique de la vraie histoire."

De quoi aviver la violence du récit, prégnante et omniprésente entre un pays qui sort tout doucement d'une dictature cruelle, et cette famille au bord du gouffre, assignée à la terreur et au mensonge. "Ce que ce père a été capable d'imposer à ses enfants relève d'une violence inouïe." Une forme de brutalité psychologique qui n'est pas sans rappeler certains films de Luis Buñuel, où l'emprise et la manipulation sont au cœur de la famille comme de l'intrigue (Tourments, Le Grand Noceur). On pense aussi au mémorable et terrifiant Château de la pureté, d'Arturo Ripstein (1972), inspiré d'un fait divers dantesque lui aussi, et où un père fou tient sa toute famille recluse, dans sa maison en plein Mexico, pour fabriquer de la mort-aux-rats.

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