Faute d’être remboursé par l’Argentine, le fonds d’investissement cherche à recouvrer sa créance par des saisies.
L’élection de Mauricio Macri à la présidence du pays devrait toutefois favoriser des négociations avec Elliott.
La fin du règne des Kirchner en Argentine n’est pas synonyme d’armistice avec les créanciers à l’origine du défaut de 2014. Elliott (NML Capital), le célèbre fonds d’investissement américain que la présidente Cristina Kirchner a surnommé « vautour », n’a pas rendu les armes. Selon nos informations, le « hedge fund », qui a pris la tête d’un groupe d’investisseurs demandant le remboursement de 1,7 milliard de dollars, a procédé à des saisies d’actifs argentins dans l’Hexagone au cours des derniers mois.
BNP Paribas, Total ou encore Air France-KLM
Ces saisies touchent notamment BNP Paribas, qui est intervenu dans une opération de plusieurs centaines de millions de dollars sur les marchés internationaux pour le compte de la province de Buenos Aires en juin. Autre cible : Total, qui opère en Terre de Feu et en Patagonie et a donc des liens financiers et fiscaux avec l’Etat d’Amérique du Sud. Depuis juin, le groupe pétrolier a ainsi reçu plusieurs visites de l’huissier mandaté par Elliott à la Défense. Avec chaque fois la même requête : obtenir le montant des créances dues par Total à Buenos Aires et bloquer le transfert des sommes en question. Air France-KLM et Coface font également partie des sociétés visées. Toutes ces entreprises ont saisi la justice, aux côtés de l’Argentine, pour faire barrage à Elliott.
Le fonds spéculatif ne s’est pas arrêté là. Faisant feu de tout bois, il s’en est aussi pris aux comptes bancaires de l’ambassade d’Argentine à Paris, provoquant notamment l’émotion des sénateurs du groupe d’amitié avec les Pays du cône Sud, qui ont dénoncé dans une lettre la « saisie opérée [...] le 18 mai, [...] , qui porte gravement atteinte au fonctionnement [de l’ambassade] ». L’ambassadrice leur a fait part de son inquiétude lors d’une réunion en septembre. Le blocage des comptes rendrait difficile le paiement des salaires des employés et obligerait l’institution à opérer les versements via un autre pays.
Ce n’est pas la première fois que le fonds du milliardaire Paul Singer tente de mettre la main sur des actifs de l’Argentine dans l’Hexagone. Par le passé, celui-ci a déjà ciblé des biens diplomatiques, ainsi que des sommes de plusieurs dizaines de millions de dollars dues par BNP Paribas, Total et Air France-KLM à l’Etat argentin. Mais le 28 mars 2013, le « hedge fund » avait été débouté par la Cour de cassation (lire ci-dessous). Ce devait être le point final de cette affaire. Or, coup de théâtre, la même cour a modifié sa jurisprudence sur les saisies des biens des Etats le 13 mai dernier dans une autre affaire. C’est dans la foulée de ce nouvel arrêt que le « hedge fund », toujours aux aguets de la moindre faille juridique, a retenté sa chance.
Cette chasse aux biens argentins sur le territoire français est embarrassante pour les relations entre Paris et Buenos Aires, en particulier au moment où un nouveau locataire s’apprête à entrer à la Maison Rose. L’affaire est donc suivie de très près par le Quai d’Orsay, indiquent plusieurs sources.
Maintenir la pression
Mauricio Macri, le nouveau président argentin, qui doit prendre ses fonctions le 10 décembre, est connu pour être moins intransigeant que Cristina Kirchner sur le dossier du remboursement des investisseurs qui ont acheté des obligations argentines à prix cassé et refusent depuis toujours d’effacer une partie de leurs créances. Le vainqueur des urnes a néanmoins déclaré au « Financial Times » qu’il se montrerait « dur » avec ceux qui exigent d’être payés 100 % du nominal, même si une solution doit être trouvée afin que le pays regagne vite l’accès aux marchés de capitaux. Du côté d’Elliott, on ne veut sans doute pas relâcher la pression sans avoir de gages. Le fonds américain, qui a dépensé des sommes prodigieuses pour mener sa bataille judiciaire un peu partout dans le monde, pourra ainsi s’asseoir à la table des négociations avec des arguments solides.
Elliott a beau faire peur aux Etats, il compte des fonds souverains parmi ses investisseurs. C’est notamment le cas du fonds souverain coréen (KIC), qui a exprimé son mécontentement cet été. Comme l’a révélé le « Wall Street Journal », KIC a investi 50 millions de dollars dans Elliott en 2010, ce qui lui a rapporté 40 % d’après le quotidien. Seulement, le fonds coréen n’a pas toléré qu’Elliott, qui peut investir dans n’importe quel type d’actifs et a pris une participation de 7 % dans Samsung CT, bloque la fusion de cette société avec Cheil Industries. KIC a donc demandé au « hedge fund » de rester en dehors des affaires coréennes. Le fonds d’investissement, créé en 1977 par Paul Singer et qui gère environ 27 milliards de dollars, compte aussi des fonds de pension publics ou des fonds de dotation parmi ses clients.