Dette : cet étrange soutien de la France à l’Argentine

La France est le seul pays occidental à soutenir activement Buenos Aires dans son interminable bras de fer avec les fonds spéculatifs, qui lui réclament 1,3 milliard de dollars. Positionnement étonnant : dans le cas de la Grèce, elle s’était placée du côté des créanciers…

L’incroyable bras de fer judiciaire qui oppose l’Argentine à des fonds spéculatifs, surnommés « fonds vautours », aurait pu laisser l’Etat français de marbre. Aucun autre pays occidental que la France n’a voulu soutenir activement Buenos Aires dans ce combat contre un groupe d’investisseurs qui avaient rejeté les conditions proposées lors des restructurations de la dette argentine, en 2005 et 2010. L’Allemagne s’est même totalement démarquée de Paris en tenant des propos très durs. « En Argentine, on insulte les fonds d’investissement en les comparant à des vautours, alors que la véritable cause du problème, c’est l’Argentine elle-même » , a déclaré le ministre des Finances Wolfgang Schäuble en août.

Lorsque la France s’est engagée à deux reprises, en juillet 2013 et mars 2014, dans une procédure de soutien de l’Argentine auprès de la Cour suprême américaine – procédure connue sous le nom d’« amicus curiae  » –, elle s’est donc trouvée relativement isolée. Seuls deux autres Etats, le Brésil et le Mexique, ont sollicité la plus haute juridiction des Etats-Unis dans l’espoir qu’elle annule la décision du juge de New York ordonnant à Buenos Aires de rembourser les fonds spéculatifs (ce qu’elle n’a pas fait).

Et lorsque, il y a peu, l’Argentine a décidé de contourner la juridiction américaine en proposant à ses créanciers ordinaires, pénalisés par la décision du juge de New York, d’échanger leurs titres contre de nouveaux, elle n’a pas choisi les juridictions anglaise, allemande ou japonaise, mais a opté pour le système français , pourtant peu utilisé en matière de finance internationale. Preuve s’il en est que l’Hexagone est un allié privilégié du gouvernement de Cristina Kirchner dans cette affaire. S’il l’est, c’est aussi (et surtout) parce que la justice française a rendu une décision extraordinairement favorable à Buenos Aires contre les fonds vautours en 2013  (1).

Pourquoi ce positionnement si particulier de la France ? Est-ce pour préserver ses intérêts économiques ? On pense par exemple à Total, implanté depuis 1978 en Argentine, où il est un gros opérateur gazier et qui mise aujourd’hui sur l’exploitation du gaz de schiste argentin. Evidemment, tel n’est pas l’argumentaire de Paris. Dans son « amicus curiae », la France défend la stabilité financière internationale et le bon déroulement des restructurations de dette. Mais si tels étaient vraiment les enjeux du feuilleton judiciaire argentin, Paris serait-il seul dans ce combat ? L’Argentine n’est-elle pas simplement un débiteur entêté ?

On sait que la bataille contre les fonds vautours est devenue une affaire personnelle pour la présidente Cristina Kirchner, qui y consacre toute son énergie. Au point que tous ceux qui sont en désaccord avec sa gestion du dossier sont accusés d’être des alliés de ces fonds. Certains Argentins préféreraient pourtant qu’on signe un chèque (2) de 1,3 milliard de dollars – la somme due à ces investisseurs procéduriers – et qu’on mette ainsi fin à l’invraisemblable imbroglio financier qui a causé une nouvelle faillite du pays et qui l’empêche d’emprunter.

Preuve que l’Argentine est bien un cas spécifique, la Grèce, qui aurait pu se retrouver dans une situation identique en 2012, a préféré payer les quelque 6 milliards d’euros dus aux investisseurs qui ont échappé à son opération d’effacement de dette plutôt que de ferrailler devant des tribunaux pendant des années. Un choix qui lui a permis de revenir lever des fonds dès cette année.

L’exemple de la Grèce révèle par ailleurs l’ambivalence de la France : Paris ne s’est rallié que tardivement, et sous la contrainte, à l’idée d’alléger le fardeau de la Grèce en effaçant une partie de la dette obligataire. Idée que défendait la chancelière allemande Angela Merkel. Le gouvernement français avait plutôt à cœur d’épargner de lourdes pertes aux banques, et notamment aux établissements de l’Hexagone, qui comptaient parmi les principaux créanciers du pays en crise. Par ailleurs, quand la restructuration a finalement eu lieu, la France ne s’est pas tellement émue de voir Athènes rembourser à 100 % les investisseurs passés entre les mailles du filet. Une situation qui était pourtant doublement choquante : non seulement parce que les banques européennes avaient, elles, consenti un gros sacrifice, mais aussi parce que cet argent provenait des poches des contribuables de la zone euro.

Bien sûr, on arguera que les cas grec et argentin ne sont pas de même nature et que, dans le premier, il y avait un enjeu « systémique ». Faire payer les banques du Vieux Continent pouvait faire vaciller la planète finance. Reste que, en termes d’image, cela peut donner l’impression que l’on prend le parti des créanciers quand c’est le nôtre, et qu’on est contre eux quand leur tête ne nous revient pas.

En outre, Paris sait qu’une pilule anti-fonds vautours existe au niveau international. Il s’agit d’une clause dans les contrats de dette qui consiste à soumettre tout projet de restructuration au vote d’une majorité de créanciers. L’Argentine ne l’avait pas, mais cette pilule a fonctionné en Grèce, à l’exception des 6 milliards d’euros évaporés. Les marges de manœuvre des fonds vautours sont donc plus limitées aujourd’hui. Faut-il encore resserrer les mailles du filet ? Oui. Et, là, la position française est légitime : au lieu d’agir en franc-tireur, Paris travaille avec le Club de Paris (groupe de grands pays créanciers) à un renforcement de cette clause. Ces travaux ont d’ailleurs abouti à des propositions du FMI ce lundi . La démarche est juste car elle fixe des règles claires et valables pour tous.

Enquête sur l’Argentine et les fonds « vautours »

Isabelle Couet
Chef du service Marchés des « Echos »

(1) L’arrêt de la Cour de cassation française du 28 mars 2013 sur la renonciation à l’immunité d’exécution.(2) Une autre solution serait de promettre un remboursement en 2015, après l’expiration d’une clause potentiellement dangereuse.

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