Cristina Kirchner sur les pas de Jacques Chirac

Par Fabio Rafael Fiallo.

Cristina Kirchner en 25 de mayo Fiesta patria popular en la plaza de todos credits Ministerio de Cultura de la Nacin Argentina (CC BY-SA 2.0)

Cristina Kirchner en 25 de mayo Fiesta patria popular en la plaza de todos credits Ministerio de Cultura de la Nación Argentina (CC BY-SA 2.0)

Pour dépeindre la complexité de l’âme de ses compatriotes, l’écrivain Jorge Luis Borges avait défini l’Argentin comme étant « un Italien qui s’exprime en espagnol, pense comme un français et souhaiterait être Anglais ». L’analogie avec la France, laquelle n’est pas pour déplaire aux Argentins, ne se limite pas à la façon de penser ; on peut la relever dans d’autres domaines, moins flatteurs à dire vrai.

À commencer par le fait que les deux pays ont perdu progressivement, l’un plus que l’autre, pas mal de leur rayonnement international.

Au début du 20e siècle, l’Argentine dépassait l’Allemagne et la France en termes de PIB par tête et affichait un taux de croissance supérieur à celui des États-Unis. Aujourd’hui, elle combine inflation et récession et se retrouve au-dessous du Chili et du Pérou d’après le niveau de revenu moyen.

Quant à la France, elle est descendue dans le dernier quart de siècle de la 4e à la 6e place dans le palmarès des pays selon la taille économique, et pour de nombreux analystes, le déclin n’est pas fini.

Malaise partagé, aussi, dans le domaine culturel. Dans la classification PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), qui mesure la maîtrise de la langue et des mathématiques des élèves âgés de 15 ans dans 65 pays, l’Argentine arrive 59e. Tout en faisant mieux, la France, elle, ne peut se vanter d’y occuper que le 20e rang.

Puis, dans le classement de Shanghaï sur l’excellence des centres académiques, aucune université française ne figure parmi les dix meilleures, la mieux cotée se trouvant à la 35e place. Pour sa part, l’Argentine doit se contenter d’une peu honorable 151e place accordée à l’université de Buenos Aires. On est très loin de l’excellence culturelle qui fut jadis l’un des traits caractéristiques de ces deux pays.

L’érosion du poids économique et culturel de la France et de l’Argentine trouve sa source dans l’incapacité de leurs gouvernants à mener à bien des réformes indispensables et à leur tendance à déverser des choix politiques difficiles sur ceux qui viendraient leur succéder.

Dans les deux cas, la difficulté de réformer et le goût pour le déversement de problèmes sont en effet des tares que l’on retrouve dans plusieurs périodes de l’histoire de ces pays. Mais deux chefs d’État sortent du lot pour être passés maîtres dans cet art de l’irresponsabilité ; il s’agit de Jacques Chirac en France et de Cristina Kirchner en Argentine.

Rappelons, par exemple, la joie avec laquelle Chirac annonça, comme s’il s’agissait d’un exploit ou d’une délivrance, la promesse qu’il avait arrachée en octobre 2002 à ses partenaires européens de repousser la réforme de la Politique agricole commune jusqu’en 2013 – c’est-à-dire après un éventuel second quinquennat que, à cette époque, il n’excluait pas de briguer (2007-2012).

À en juger par les difficultés croissantes des agriculteurs français, il est difficile de voir dans la manœuvre de Chirac une réussite de sa présidence.

Rappelons encore la force avec laquelle Chirac vantait ce « modèle social que tout le monde nous envie », et qui, pourtant, déjà à cette époque, avait besoin de réformes courageuses si on tenait à le garder en vie.

La présidente sortante de l’Argentine, Cristina Kirchner, dont la présidence arrivera à terme le 10 décembre, aura pratiqué la même politique de déversement de problèmes.

En effet, comme Chirac le fit à l’égard de la réforme de la PAC, la Présidente de l’Argentine aura refusé de régler le contentieux qui l’oppose aux dénommés « fonds vautours » ; en fait des fonds d’investissement qui n’ont pas accepté, comme ils en avaient le droit, la décote des obligations d’État négociée par le gouvernement argentin avec 93% de ses créanciers suite à la cessation de paiement proclamée en 2001 par son prédécesseur et défunt mari, Nestor Kirchner.

Ce litige met à mal la capacité de l’Argentine à lever des fonds dans les marchés internationaux de capitaux, et ce à un moment où le pays en a bigrement besoin, vu l’état de ses réserves en devises et ses besoin de capitaux pour le développement économique.

Et de même que Chirac ne pouvait ignorer que l’agriculture française ne serait pas sauvée par son immobilisme et ses tactiques dilatoires à l’égard de la réforme de la PAC, ainsi Cristina Kirchner sait pertinemment que son successeur, quel qu’il soit, sera obligé de faire des concessions pour parvenir à un règlement du contentieux avec les « fonds vautours ».

Même politique de déversement à l’égard du modèle social, un modèle hypertrophié aussi bien en Argentine qu’en France. Deux Argentins sur cinq reçoivent une pension, un salaire ou une allocation du gouvernement, une proportion qui a doublé depuis l’arrivée au pouvoir des époux Kirchner. Quant à la France, la Cour des comptes n’a cessé de mettre en garde le caractère insoutenable de la situation financière de la Sécurité sociale.

Aussi, par manque de courage ou par opportunisme, ou pour les deux raisons à la fois, ces deux chefs d’État auront laissé à leurs successeurs la tâche ingrate de régler des problèmes épineux qu’ils auraient pu et dû prendre en main.

Comme pour faire oublier leur immobilisme, ces deux personnages auront eu tendance à flatter l’ego de leurs concitoyens. On aura ainsi vu Chirac dénigrer à plusieurs reprises la bouffe anglaise, juste à l’époque où la Perfide Albion s’apprêtait à ravir à la France la 5e place dans le palmarès de pays selon la taille économique. On aura vu aussi Cristina Kirchner, lors d’un voyage officiel en Chine, envoyer un tweet pour railler la façon de prononcer les « r » qu’ont les habitants de la 2e puissance économique mondiale.

Malgré ces plaisanteries peu diplomatiques, le déversement de problèmes, pratiqué par Jacques Chirac et Cristina Kirchner, aura aidé à créer les conditions pour que la France soit aujourd’hui dépassée par l’Allemagne et l’Angleterre ; et l’Argentine, par le Chili et le Pérou.

 

 

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