Condamnation de l’Argentine : quelles conséquences possibles ?

Condamnée par la justice, l’Argentine doit-elle choisir entre le défaut de paiement ou le remboursement des fonds « vautours » ? A-t-elle d’autres options ? Quels sont les risques ?

Personne ne peut prédire le dénouement du feuilleton de la dette argentine. Celui-ci est pourtant proche. Suite à la décision de la Cour suprême américaine de ne pas s’impliquer dans l’imbroglio qui oppose le pays à des fonds spéculatifs, Buenos Aires est confronté à un dilemme cornélien : faire défaut sur ses dettes obligataires - la prochaine échéance de paiement est fixée au 30 juin – ou rembourser Elliott et Aurelius, les deux fonds « vautours », qui ont obtenu gain de cause devant la justice après des années de procédure.

Lundi, la plus haute juridiction des Etats-Unis a en effet déçu tous les espoirs argentins en confirmant implicitement les précédents verdicts des juges : Buenos Aires doit rembourser 1,3 milliard de dollars aux fonds « vautours » , qui détiennent des titres argentins achetés après la faillite du pays en 2001. Ces investisseurs n’ont pas participé aux opérations de restructurations dette de 2005 et 2010 et ont poursuivi le pays dans le but de réaliser une plus-value, en obtenant un paiement de 100% du nominal.

La présidente argentine, Cristina Kirchner, s’est adressée à ses concitoyens lors d’une allocution télévisée pour dénoncer une « extorsion » , réitérant ainsi sa promesse de ne pas rembourser les fonds spéculatifs.

L’Argentine bute toutefois sur un obstacle de taille : si elle ne paie pas Elliott et Aurelius, la justice lui interdit d’honorer ses remboursements à l’égard des autres créanciers obligataires, en vertu d’une clause présente dans ses contrats de dette (« pari passu »). Or, Cristina Kirchner a fait fi de cette difficulté et pris l’engagement d’honorer les versements à l’égard des porteurs de titres obligataires, à l’exclusion des fonds « vautours ».

Quelles sont les conséquences possibles ?

- L’Argentine peut-elle contourner la décision de justice et éviter le défaut ? Payer les créanciers qui ont accepté les restructurations de dette, mais pas Elliott et Aurelius, paraît quasiment impossible. Les juges ont en effet formellement interdit aux banques et autres intermédiaires financiers (chambres de compensation…) travaillant avec l’Argentine et exerçant à New York d’aider le pays dans cette démarche. Etant donné le contexte actuel, notamment sur fond d’affaire BNP Paribas, il y a peu de chance qu’un établissement prenne le risque de froisser les juges américains en étant complice d’un pays qui contourne leur décision.

- Les fonds vautours peuvent-ils faire exécuter la décision si l’Argentine refuse de payer ? La Cour suprême américaine a rendu une autre décision cruciale lundi : récusant l’argument avancé par Buenos Aires sur son immunité souveraine, elle a considéré que le fonds Elliott avait, a priori, un droit d’accès à de nombreuses informations concernant les comptes de l’Argentine. Elliott peut ainsi demander à n’importe quelle institution ayant une activité sur le territoire américain de lui fournir des données concernant des mouvements d’argent en dollars effectués pour le compte de l’Argentine. Les différentes demandes du fonds « vautours » étaient jusqu’ici restées lettre morte. Il va pouvoir les réactiver ou en formuler de nouvelles, qui seront soumises à l’appréciation non de l’Argentine mais de la justice américaine. Or, si Elliott obtient des données précieuses, il ne manquera pas de les utiliser pour tenter d’obtenir la saisie de comptes ou d’actifs argentins. C’est en effet le moyen le plus efficace pour recouvrer sa créance, si Buenos Aires s’entête à lui tourner le dos. Les saisies peuvent avoir lieu dans n’importe quel pays, comme ce fut le cas au Ghana en 2012, quand le célèbre fonds avait mis la main (temporairement) sur un navire-école argentin. Il suffit pour cela d’obtenir un avis favorable de la juridiction locale.

- L’Argentine risque-t-elle de replonger dans la crise si elle rembourse tous ses créanciers ? A priori, avec des réserves de changes d’environ 28 milliards de dollars, Buenos Aires n’aurait aucune difficulté à rembourser les fonds « vautours » le 30 juin (pour 1,3 milliard de dollars), tout en versant les 900 millions de dollars dus à cette date aux autres porteurs de titres obligataires. C’est donc avant tout une question de volonté politique. Une incertitude existe toutefois : Cristina Kirchner a estimé que d’autres investisseurs étaient susceptibles d’exiger le paiement de 15 milliards de dollars, s’ils s’engouffraient dans la brèche ouverte par Elliott et Aurelius. Mais rien ne dit à ce stade que les juges exigeraient le versement des 15 milliards dès la date du 30 juin.

- Une négociation entre Buenos Aires et les fonds « vautours » est-elle envisageable ? Elliott a envoyé quelques signaux en ce sens. Depuis la décision de la Cour suprême, le rapport de force lui est toutefois beaucoup plus favorable. Cristina Kirchner accepterait-elle d’ouvrir le dialogue en prenant le risque de se déjuger ? Il s’agit là encore d’une question de volonté politique. La présidente y a tout intérêt car si ce contentieux n’est pas résolu, son pays ne pourra pas revenir sur les marchés financiers, alors même qu’il a trouvé un accord pour apurer sa dette auprès du Club de Paris (précisément dans cette optique). Avec des réserves de changes qui diminuent rapidement, l’Argentine risque à terme l’asphyxie financière.

- La décision de la justice américaine a-t-elle un impact sur les autres dettes souveraines ? Des outils anti-fonds vautours ont été inventés et sont aujourd’hui largement diffusés : les clauses d’action collective permettent en effet d’empêcher un investisseur récalcitrant de bloquer une restructuration de dette (effacement partiel, rééchelonnement des paiements, etc.) quand celle-ci est acceptée par une majorité de créanciers. La clause est encore imparfaite, mais elle a par exemple permis de réduire la dette de la Grèce en 2012. La décision américaine n’a donc pas une portée systémique.

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