Un important clivage idéologique dans la politique argentine est l'opposition sesquicentenaire entre fédéralistes et unitaires. On peut y trouver un écho de notre bonne vieille dichotomie entre Montagnards et Girondins (d'autant plus que la Révolution Française a été une source importante d'inspiration des pères fondateurs de la république argentine: dans les années 1810 les Pueyrredon, Moreno etc. mimaient volontiers la mythologie romaine de la Convention et du Directoire avec des titres de triumvirs, directeurs etc.) mais aussi une opposition similaire à celle des Confédérés et des Nordistes (en particulier sur le plan socio-économique: la ruralité contre la grande industrie).
Les fédéralistes forment une mouvance hétéroclite qui s'accorde sur quelques grands "principes": populisme au ras des pâquerettes, autonomie maximale des pouvoirs locaux dans la gestion clientélaire et surtout pérennité des dynasties politiques locales: au cours de mes recherches pour l'écriture de mes romans "argentins", j'ai par exemple découvert que l'ancêtre fondateur de la dynastie des Rodriguez Saa qui dirige la province de San Luis depuis plusieurs générations était chef de la police provinciale au début des années 1900, ce qui n'est pas un mauvais point de départ pour contrôler le pouvoir local...) mais ils souffrent de plusieurs handicaps:
1°) ils sont sempiternellement associés, en particulier depuis l'ouvrage fondateur de Sarmiento "Facundo" (sur un fameux caudillo de la Rioja) à une image de brutalité, d'arbitraire, de corruption et d'inculture soigneusement entretenue par les patriciens unitaires de la bourgeoisie portègne.
2°) comme l'a bien montré la trajectoire du dictateur Rosas au milieu du 19ème siècle, il n'y a pas plus féroce unitaire qu'un fédéraliste ayant réussi à conquérir le pouvoir suprême...
3°) ils ont par définition du mal à s'unir efficacement contre le gouvernement central car la politique de redistribution à l'échelon national permet aisément au gouvernement central de jouer les provinces pauvres (demandeuses de subsides) contre les provinces riches (fournisseurs indirects des mêmes subsides)
Ils représentent néanmoins une constellation de forces politiques d'appoint jouant à fond la carte du localisme et de la spécificité régionale. Il y a donc en Argentine des partis régionaux (ou des fractions régionalistes du parti péroniste) puissamment implantés mais dont la base géographique reste très étroite: aux dernières élections, les représentants du caudillo de San Luis à Buenos Aires ont fait moins de 2% des voix: le clientélisme régional est par définition inexportable). Ces partis et fractions sont donc condamnés à jouer les forces d'appoint dans les coalitions construites autour des grands partis nationaux mais savent monnayer leur soutien pour la construction des majorités parlementaires (un peu comme les multiples acolytes "centristes" ou "de gauche" de Benito Bettino Craxi au temps du "pentapartito" italien.)