Delio Onnis a serré des mains, répondu aux questions des médias, signé des autographes, hier à la Vallée du Cher, et il a eu la gentillesse de réaliser une interview privée avec un de ses plus fervents admirateurs de l'époque, en l'occurrence votre serviteur. Allez, c'est parti…
Delio, déjà une question d'actualité : la France vient de vivre des moments tragiques. Quelle a été la réaction de l'Argentine où vous vivez ?
« Une onde de choc, un électrochoc. Dans toute l'Amérique du Sud. En Argentine, il y avait des directs à la télé et les gens étaient incrédules. C'est là qu'on se rend compte qu'on est bel et bien citoyen du monde. »
" On a battu Saint-Étienne chez lui "Vous faites quoi en Argentine désormais ?
« Je suis le football, je travaille pour Monaco en regardant le championnat argentin, je peux aussi aller des fois au Chili et en Uruguay. Je vais à mon rythme. N'oubliez pas que j'ai 66 ans ! »
Venir à Tours est toujours un plaisir, n'est-ce pas ?
« C'est vrai. Quand je viens à Tours ou à Monaco où résident mes enfants, j'ai l'impression que je viens de quitter ces villes hier. J'ai l'impression que les gens me passent tout (il rit beaucoup…). Je suis comme chez moi »
Jean-Luc Ettori qui pèse 602 matchs est à vos côtés. Vous, vous pesez 299 buts : on a l'impression d'avoir deux mammouths du football en face de nous. Cela vous fait quoi d'être des mammouths ?
« Ah, avec Jean-Luc, on a de sacrés souvenirs, c'était un jeunot. Il a débuté contre Bastia, j'avais dû marquer deux buts… Une belle histoire. »
Saint-Étienne vient à Tours la semaine prochaine. Cela évoque des souvenirs n'est ce pas ?
« Ah oui, parce qu'on a gagné à Geoffroy-Guichard la première saison avec Tours. Oui, dans le chaudron ! Et on a… Ah, je ne sais plus… On a joué à La Vallée du Cher contre le Saint-Étienne de Platini. On a gagné ou on a perdu 4-3 (en fait, une défaite). Un grand moment. 23.000 spectateurs au stade ! Le record à Tours…
« Je voudrais revoir Tours en Ligue 1, mais cela passe par une aide de tous, de la ville notamment. Le foot en Ligue 1 a des répercussions économiques énormes. Mais pour récolter, il faut semer et investir ! Je me souviens de tous ces commerçants qui faisaient leur beurre avec le FC Tours, de cette animation, de ce vent qui soufflait sur la ville. »
Delio, il y a une question en suspens depuis des années que nous voulons vous poser ! Pourquoi avoir quitté le grand Monaco pour le petit Tours ?
« Tout simple. J'avais été blessé, j'avais 32 ans et Monaco voulait me faire resigner un an. Tours m'en a proposé trois. Mais vous savez, quand j'ai signé à Monaco, Reims et Toulon, c'était pareil : soit ils jouaient en D2 soit ils venaient de monter en D1. Cela ne m'a jamais fait peur. »
Dans la surface, vous étiez unique. Comment expliquez-vous ça alors que vous n'étiez par particulièrement rapide, ni particulièrement physique ?
« Déjà, j'ai réussi parce que j'avais des partenaires de talent qui me faisaient de bonnes passes. Le football est avant tout un sport collectif. Ensuite, j'étais rapide, quoi que vous puissiez penser le contraire (il rit), sur cinq mètres. Ensuite, à l'époque, on n'arrêtait pas de discuter entre nous. A Monaco et à Tours, je pouvais jouer les yeux fermés avec mes partenaires, je savais souvent où le ballon allait atterrir et j'anticipais. C'est tout. »
Vous avez failli être entraîneur ?
« Mais je l'ai été trois ans au Paris FC. Bon, ce n'était pas pour moi. Je suis un homme de principe. Un président qui me réveille à 4 heures du matin pour me parler et pour me dire une heure plus tard, ce serait bien de faire jouer untel ou untel, ça va… Ou ça ne va pas plutôt ! Écouter de telles âneries n'était plus de mon âge. »
Est ce que vous avez un regret ?
« Ne pas avoir été sélectionné en équipe nationale italienne. Car vous ne le savez pas, je suis italien et je vis en Argentine. Mais à l'époque, il y avait d'énormes attaquants en Italie. »
Dernière question, anecdotique : vous n'avez toujours pas votre permis de conduire ?
« Oh, non, très peu pour moi ! Vous savez que je venais souvent aux entraînements au stade de la Vallée du Cher en solex. Mais ce que vous ne savez pas, c'est que je faisais pareil à Monaco, j'avais même Pastorizza sur mon porte-bagages, un sacré joueur. C'était curieux pour Monaco… »
jean-luc ettori : " mieux valait l'avoir avec nous que contre nous "
Jean-Luc Ettori (président délégué du TFC et ancien coéquipier de Delio à Monaco) : « J'ai vécu la saison la plus extraordinaire avec lui et Monaco. On était monté de D2 en D1. Et on devient champion de France de D1. J'avais été blessé quatre matchs, Chauveau m'avait remplacé. Delio et deux autres joueurs avaient été voir le coach et dit : " Il faut maintenant remettre Jean-Luc ! " Je ne l'oublie pas car j'étais tout jeune, au début de ma carrière, un sacré coup de pouce. Sinon, il fallait mieux jouer avec Delio que contre lui, surtout les gardiens. A l'entraînement, il se mettait à six mètres de moi, les autres tiraient et il me disait : " Si tu relâches le ballon, je te la mets au fond. " C'est formateur ! »
Jean-Marc Furlan (coach de Troyes et ancien coéquipier de Delio) : « Il était d'une grande simplicité au FCT. J'étais un joueur et lui une star. Il ne faisait aucune différence. Très simple. Adorable. Très abordable avec les supporters. Je me rappelle les barbecues qu'on faisait ensemble. Il invitait beaucoup de joueurs… J'allais le chercher en voiture chez lui car il n'avait pas le permis. Parfois, il venait d'ailleurs au stade en solex… Il faut savoir que je faisais partie du clan Onnis. Il y avait les anti, même parfois dans le vestiaire. Je suis vraiment content de le revoir. »
Antoine Dossevi (attaquant et coéquipier de Delio au FCT) : « Avant que Delio arrive, il nous fallait dix occasions pour marquer un but. Quand il est arrivé, deux suffisaient et il marquait ! Un phénomène devant le but. Donc, on courait pour lui car on savait qu'à un moment ou à un autre, il allait marquer. Et on s'est maintenu grâce à notre collectif et surtout grâce à lui. De plus, il devinait où on allait lui mettre le ballon et il flairait mes bons coups. Delio jouait avec sa tête. »
Yvon Jublot (directeur sportif du FC Tours de l'époque) : « Vu sa notoriété et son talent, il était d'une simplicité extraordinaire. D'une droiture incroyable. Pourtant, ce n'était pas mon style de jeu, mais j'avais vu ses stats : 30 buts par match ! Donc, je n'ai pas hésité. L'efficacité avant tout. C'est Fred Vitalis qui m'a dit qu'il pouvait quitter Monaco. J'ai vite pris l'avion pour le contacter et le faire signer. Car je savais que Guy Roux et Auxerre étaient sur les rangs !
« Et je ne l'ai jamais regretté : dès son arrivée, on a fait 6.000 abonnés. Et il nous a marqué tant de buts ! Et je le répète : quel homme ! J'ai appris plus tard qu'il invitait beaucoup de joueurs chez lui et il entretenait ainsi la bonne ambiance dans l'équipe.
« J'ai un regret : j'aurais pu réaliser un deuxième gros coup : faire venir Coco Suaudeau. Ça s'est joué à un rien… »
billet
Déjà 35 ans...
En ces temps de forte tempête, il est vital de s'accrocher à ce que l'on peut, à l'espoir, l'amour, la nature, la famille. Aux souvenirs également. La venue de Delio Onnis arrive à point nommé pour revêtir la tenue des années 80. Très disco. Très foot. Très intemporelle. Le FC Tours était alors en Division 1. Une fierté. On ne savait pas alors que la gloire serait éphémère. On la vivait au jour le jour. Le peuple tourangeau ne boudait pas son plaisir et allait à la Vallée du Cher attiré par la lumière. Et cette lumière, c'était Delio Onnis, l'homme qui annonçait la victoire, le magicien qui transformait une action improbable en but, le plomb en or. Le renard des surfaces, le goleador disait-on alors. Expressions perdues pour toujours dans la nuit des temps, croyait-on. Et puis, le renard des surfaces revient au bon moment 35 ans après. Vieilli et lesté de quelques kilos. Mais ravivant la flamme dans les regards nostalgiques en ces temps obscurs. Et ça fait du bien.
le chiffre
299
Le nombre de buts inscrit par Delio Onnis en D1 (Ligue 1). 39 avec Reims, 157 avec Monaco, 64 avec Tours et 39 avec Toulon.