Michelle Bachelet vient d'être réélue à la tête du Chili, Dilma Rousseff dirige le Brésil, Cristina Kirchner l'Argentine et Laura Chinchilla, le Costa Rica. Quatre femmes dirigeantes pour un continent latino-américain réputé machiste et sexiste. Coïncidence ou signe que la société évolue? Interview avec Renée Fregosi, directrice de recherche en sciences politiques à l'Institut des Hautes études de l'Amérique latine (Paris 3 - Sorbonne nouvelle).
Au Chili, deux femmes étaient candidates à la présidentielle. Qu'est-ce que révèle l'exemple chilien?
Michelle Bachelet, comme son adversaire malheureuse Evelyn Matthei sont toutes les deux issues de familles de notables, européennes, filles de général de l'armée de l'air. Leurs deux pères les ont valorisées en tant que femmes, ils étaient tous deux très fiers de leurs filles. Elles prétendent l'une comme l'autre à être les égales des hommes. Matthei le fait de façon encore plus provocante, elle déplaît aux hommes parce qu'elles les affrontent. Michelle Bachelet, qui a pris des formes en vieillissant, incarne davantage la mamma protectrice, c'était d'ailleurs flagrant dans ses thématiques de campagne. La droite chilienne a accepté la candidature de Matthei pour montrer qu'elle aussi pouvait présenter une femme à la présidentielle, comme la gauche.
Chili, Argentine, Brésil... n'y a-t-il pas un paradoxe à voir des femmes élues à la tête de pays réputés machistes?
En réalité, il faut dissocier le machisme, la misogynie voire la haine des femmes et leur présence aux plus hautes fonctions politiques. La situation globale des femmes n'est pas à mettre en corrélation directe avec leur présence en haut de l'Etat.
Et ce n'est pas le cas qu'en Amérique latine. Benhazir Butto a été deux fois Premier ministre du Pakistan, pays où l'espérance de vie des femmes est inférieure à celle des hommes en raison de très nombreux assassinats.
Comment l'expliquer?
Dans le champ du politique, des choses ont bougé depuis la fin des dictatures en Amérique latine. On commence à en mesurer les effets aujourd'hui, plus de trente ans après. Ces effets à long terme ont restructuré les sociétés. Le retour de la démocratie a contribué à l'émergence de davantage de femmes dans la vie politique en général à travers notamment des partis de gauche, plus sensibles à la rhétorique féministe. Au sein de l'oligarchie, vous pouvez aussi voir des femmes émerger car dans ce cas, ce qui compte, ce n'est pas le sexe mais le nom de famille.
Ces femmes dirigeantes sont-elles des exceptions ou la preuve que la politique n'est plus un espace uniquement masculin en Amérique latine?
On peut parler d'une féminisation de la vie politique. La moyenne de femmes élues est de 22% en Amérique latine, le Brésil faisant figure d'exception avec seulement 9% d'élues. Une politique de quotas a été mise en place dans différents pays, comme au Nicaragua qui a un taux de 40% de femmes politiques, paradoxalement dans une société très pudibonde où le nombre de femmes battues atteint des records.
La présence de femmes au plus haut sommet de l'Etat change-t-elle quelque chose en matière de droits des femmes?
Il ne suffit pas qu'il y ait des femmes au pouvoir pour faire avancer les droits des femmes. Et d'ailleurs toutes les femmes ne sont pas féministes! Christina Kirchner est contre l'avortement. Au Chili, l'IVG est également interdit. Il y a quand même eu quelques avancées comme la pilule du lendemain mais Michelle Bachelet s'était arrangée pour ne pas politiser le débat. Au contraire, l'Uruguay a autorisé le mariage homosexuel et l'avortement alors que c'est un pays assez machiste qui compte un très faible taux d'élues.
Il y a encore beaucoup à faire pour les droits des femmes dans ce sous-continent. De nombreux pays sont sous la coupe des églises. Lorsqu'on est très conservateur sur la vie sexuelle, on l'est forcément aussi sur ce qu'est une femme. La liberté des femmes passe par la liberté des individus en général.