Ce qu’une défaite d’Hugo Chavez signifierait pour les Amériques

Chavez, un « populiste aux allures de rock-star »

« J’espère que cela ne blesse pas Obama », a déclaré le président vénézuélien Hugo Chavez sur la télévision publique le premier week-end d'octobre, conscient qu’avec les élections qui arrivent aux États-Unis, ses mots pourraient être immédiatement raillés par les républicains« Mais si j’habitais aux États-Unis, je voterais pour lui ».

Ces mots vont peut-être hanter le président américain dans les jours qui arrivent, bien que la prescience de Chavez sur la question soit plus intéressante que sa rhétorique de pacotille.

Chavez est un populiste aux allures de rock-star, flottant avec son idéologie au-dessus des plus grandes réserves mondiales de pétrole ; et c’est en fin de compte cette richesse pétrolière qui lui a donné une telle puissance mondiale.

Prêt à vivre ses plus difficiles élections, qui auront lieu dimanche 7 octobreHugo Chavez pourrait bien emprunter la sortie après treize ans à la tête de cet État pétrolier. Mais, même s’il gagne, comme les sondages d’opinion l’ont prédit, est-il aussi pertinent qu’il le croit dans une Amérique latine qui évolue, et face à un gouvernement américain loin des politiques des anciens présidentsNixonReagan et Bush ?

Hugo Chavez est au centre du jeu diplomatique en Amérique latine

« Les dirigeants considèrent du bout des lèvres Chavez comme un des leurs, mais derrière leurs portes fermées, soit ils rient, soit ils pleurent », dit Riordan Roett, directeur du Programme d’études d’Amérique latine à l’université John Hopkins, à Washington.

Un exemple : le président du PérouOllanta Humala. Il s’est d’abord présenté aux élections de 2006 (et a perdu), portant une chemise rouge et déversant une rhétorique anticapitaliste, heureux de montrer son amitié envers Hugo Chavez.

Quand il s’est à nouveau présenté en avril de l’année dernière (et a gagné), il était vêtu d’une chemise et d'une cravate clinquantes, et refusait d’admettre une quelconque parenté avec l’exubérant président socialiste du Vénézuela ou aucun autre chef d’État de gauche en Amérique latine. Malgré une difficile première année en tant que président, la politique d’Humala est plus modérée et son langage plus conciliant.

Manuel Santos, le président colombien, a ri et pleuré en même temps, accusant Hugo Chavez d’avoir essayé de le tuer il y a tout juste deux ans, avant de le décrire comme son « meilleur ami » un an après.

Les rebelles colombiens des Farc ont été un pion dans ce jeu. Le gouvernement a été maintes fois accusé d’avoir supporté le groupe d'extrême-gauche, au mépris des dirigeants successifs colombiens. Mais Hugo Chavez est désormais venu appuyer le processus de paix entre le gouvernement et la guérilla.

« Maintenant que les pourparlers de paix ont commencé, Chavez a une carte en moins à jouer », estime Riordan Roett. « L’opinion publique a changé en ce qui concerne les Farc. Il y a de réelles chances de négocier la paix ».

Une victoire d'Henrique Capriles calmerait le jeu avec Whashington

Le rival de Hugo Chavez pour le vote de dimanche est Henrique Capriles Radonski. C’est une course serrée, comme en témoignent les centaines de milliers de personnes qui ont défilé pour chacun des candidats ces derniers mois.

Henrique Capriles se décrit lui-même comme « 100% Lula », se référant à l’ancien président du BrésilLuis Inacio Lula da Silva. Un des chefs d’État les plus populaires d’Amérique latine, Lula est considéré comme celui qui a réussi à faire du Brésil, de facto, le premier des marchés émergents mondiaux, tout en maintenant les programmes sociaux qui ont permis à beaucoup de Brésiliens de sortir de la pauvreté.

C’est une Amérique latine plus modérée que beaucoup de supporters de Henrique Capriles voudraient voir naître.

Hugo Chavez a des alliés idéologiques à travers l’Amérique latine, des frères Castro à Cuba aux présidents Rafael Correa en ÉquateurEvo Morales en Bolivie et Cristina Fernandez de Kirchner en Argentine, dont le gouvernement suit de plus en plus la voie du Vénézuela, à la fois en termes de politique intérieure et étrangère.

« Si Capriles gagne, il aura à cœur d’abandonner la mentalité "Nous contre Eux" qui a marqué la politique de Chavez », affirme Michael Shifter, président du Dialogue inter-américain, un think tank de Washington. « Il ne s’agit pas de vouloir égaler l’actuelle facilité des relations qu’entretient le Vénézuela avec l’Argentine, l’Équateur et la Bolivie, mais il s’agit de faire un effort pour conserver de bonnes relations, en profitant des liens commerciaux et diplomatiques. »

Cuba sur le banc de touche en cas de défaite de Hugo Chavez ?

Alors que ces liens vont sans aucun doute perdurer, c’est Cuba qui est susceptible de souffrir le plus d'une défaite de Hugo Chavez. Le président vénézuélien voit l’ancien président Fidel Castro comme son mentor. Le vice-président de CubaCarlos Lage, a déclaré en 2005 que son pays avait « deux présidents : Fidel et Chavez ».

Le Vénézuela fournit annuellement à Cuba entre 5 et 15 milliards de dollars – près d’un quart des 63 milliards de dollars du produit intérieur brut – en échange de renforts humains (médecins ou entraîneurs sportifs, par exemple). Or ce serait un coup d’arrêt du pétrole livré gratuitement à l’île si Henrique Capriles prenait le pouvoir.

« Avec de graves problèmes en termes de pauvreté et d’infrastructures, les dons de pétrole, qui représentent près de 3% de notre PIB, ne sont pas acceptables », a déclaré Henrique Capriles« Sous l’apparence d’une aide au développement international, ces dons déguisent en fait le rachat d'une politique favorable à un programme idéologique ».

Une défaite de Hugo Chavez aurait le pouvoir de faire sombrer Cuba et de ramener l’île à l’époque de la « période spéciale », qui a suivi l’effondrement de l’Union soviétique, quand l’île souffrait d’une crise économique chronique, alors que La Havane n’était plus en mesure de compenser l’embargo américain. L’économie a reculé de 35% entre 1989 et 1993, et les importations de pétrole ont diminué de près de 90% pendant la même période. Le peuple cubain a souffert de pénuries alimentaires, certains perdant jusqu’à un quart de leur poids corporel.

Cependant, La Havane est cette fois-ci un peu plus préparée, d’autant plus que le président Raul Castro a commencé à ouvrir progressivement l’économie. Les investissements de la Chine dans le pétrole et d’autres projets montrent que le gouvernement est prêt à se diversifier.

Pétrole-argent : le Vénézuela et les États-Unis ne peuvent se passer l'un de l'autre

Les relations entre Washington et Caracas ont été difficiles depuis que Hugo Chavez est arrivé au pouvoir en 1999, mais il y a eu des hauts et des bas. Le pire a eu lieu en 2006, lorsque Hugo Chavez a dit du président américain George W. Bush qu’il était « le diable », alors qu’il se tenait à la tribune des Nations unies. Aujourd’hui, les relations sont plus paisibles, étant donné que Hugo Chavez a tendu un rameau d’olivier à Barack Obama au cours du dernier week-end de septembre.

Mais les rameaux d’olivier et la rhétorique ne peuvent cacher la question fondamentale« Les États-Unis et le Vénézuela sont dans une impasse », analyse Riordan Roett« Il a besoin de notre argent. Nous avons besoin de son pétrole… Tous les discours anti-impérialistes ne signifient rien. Chavez n’a aucune autre source garantie de revenu. Malheureusement, les États-Unis ont besoin de son pétrole ».

Une défaite de la voix la plus forte d’Amérique latine contre Washington pourrait améliorer les relations dans toute la région. « Le ton des relations entre les États-Unis et l’Amérique latine serait nettement moins tendu et conflictuel », a déclaré Shifter« Cela ne veut pas dire que les relations vont soudainement devenir harmonieuses, loin de là. Mais pendant les quatorze dernières années, la voix de Chavez a été la plus forte et la plus violente, et il a souvent cherché de manière agressive à rallier des adhérents à sa cause. Sans lui au pouvoir, la température serait sans doute tombée ».

Global Post / Adaptation : Anaïs Lefébure / JOL Press

Leave a Reply