Ma collègue Nadia m’avait prévenu, «assure-toi d’avoir un mouthpiece!» Après une dizaine de jours à gambader en Argentine à boire du malbec et du cabernet sauvignon bien concentrés, laissez-moi vous dire que rien n’est plus jouissif qu’une rasade de torrontes bien frais.
Oubliez la notion de terroir. Ce qui compte ici, c’est l’altitude. L’amplitude thermique pour être plus exact. La presque totalité de la production vinicole du pays suit la cordillère des Andes. Plus vous plantez haut, plus vous profitez de l’extraordinaire luminosité du jour et de la fraîcheur de la nuit, ce qui peut se traduire par des différences de température de plus de 20 degrés. L’atteinte de maturité optimale des fruits est constante pratiquement chaque année, même trop, puisqu’il est fréquent de voir les producteurs acidifier leurs vins.
Agriculture biologique ou biodynamie? Personne n’en parle ou presque. Ça s’explique en grande partie par l’air sec des Andes qui permet un état sanitaire presque parfait du vignoble. À peu près pas de phylloxéra, bien que plusieurs domaines ne courent aucun risque et utilisent les porte-greffes. Bref, l’utilisation de produits de synthèse est donc moins courante qu’ailleurs.
Reste le plus important: l’eau. Le long des Andes, le climat est quasi désertique. Tout au plus de 250 mm de pluie annuellement. Tout ce qui est vert provient de l’irrigation humaine. La canalisation de la fonte des neiges en montagne, mise au point par les Incas, reste la principale source d’eau. Sauf qu’avec le réchauffement climatique, il y a de moins en moins de cimes enneigées. Si bien que l’obtention d’un permis d’eau est aujourd’hui un problème sérieux. C’est d’ailleurs un élément économique déterminant dans l’expansion du vignoble argentin.
Cafayate
Mendoza et son malbec restent l’épicentre viticole du pays (j’y reviendrai la semaine prochaine). Malgré la petitesse de leur production, des régions comme Jujuy, tout au nord ou de la Patagonie au sud, semblent se frayer un chemin sous les projecteurs.
Cafayate, dans le nord-ouest du pays, exerce pour sa part une force d’attraction difficile à décrire. On le sent dès la sortie du dernier village, après Salta, la capitale administrative de la province du même nom. On entre alors dans les vallées Calchaquies où la terre prend des teintes rouges/ocres et donne littéralement l’impression de se soulever. Ancien lit d’océan, les plaques du sous-sol se sont contractées pour donner naissance à un ensemble de pics géologiques impressionnants de beauté.
Les vignes sont pour la plupart plantées dans les hauteurs autour du village de Cafayate, lui-même situé à plus de 1600 mètres d’altitude. C’est l’un des vignobles les plus élevés de la planète. En rouge, le style de malbec se démarque de celui à Mendoza par son côté souvent épicé avec des accents de poivrons rouges mûrs et de paprika qui rappellent le cabernet franc. Mes expériences les plus agréables viennent cependant du torrontes. Doté d’une peau très pâle, très aromatique, d’une acidité haute et d’une finale amère, c’est le cépage tout indiqué pour combattre la chaleur souvent extrême de la région. J’ai également goûté plusieurs trucs intéressants du côté des vins à base de tannat et, évidemment, de bonarda. Peu de vins sont disponibles au Québec, mais si vous voyez passer ceux d’Amalaya ou d’El Provenir, n’hésitez pas!
Buvez moins, Buvez mieux
♦ Don David Torrontes Reserve 2013, El Esteco (16,90 $): Provenant d’une parcelle située en haute altitude, c’est l’exemple parfait du torrontes habilement maîtrisé. Très aromatique, avec des tonalités florales, d’orange, d’anis et un côté épicé/fumé rappelant le gewurztraminer. Ample, presque riche - près de 10 % d’élevage en fût apportant des notes beurrées - mais d’une bonne vivacité, il termine sur une finale légèrement amère. Mariage idéal avec la cuisine épicée.
♦ Cafayate Torrontes 2014, Etchart (14,85 $): Tout aussi expressif que le précédent, moins riche, plus droit et possiblement moins complexe, il n’en demeure pas moins étonnant de fraîcheur. Jolis parfums de miel, de muscade, de jasmin et une touche de confiserie. Absolument impeccable pour le prix. Parfait à l’apéro lors des journées chaudes d’été (ça s’en vient!).
♦ San Pedro De Sanchez Yacochuya Salta 2010 (25,30 $): Propriété de la famille Etchart, importante figure de la viticulture argentine, qui a cédé ses activités au groupe français Pernod-Ricard en 1996, mais sa relation avec Michel Rolland remonte à 1988. Le célèbre œnologue bordelais signe ici le vin le moins imposant de ce domaine perché à près de 2000 mètres d’altitude qui possède l’un des plus vieux patrimoines de vigne. Dominé par le malbec, le reste en cabernet-sauvignon, on perçoit l’anis, le menthol et le cigare. C’est, sans surprise, puissant et concentré, avec des tanins souples et une finale capiteuse rappelant le poivron rouge et le paprika. Cœur sensible s’abstenir!
♦ Michel Torino Tannat 2014 (11,80 $): Le tannat, cépage emblématique de Madiran, peut donner de bons résultats ici. D’assez bonne intensité, on sent la vanille, le gâteau sorti du four et un fond de torréfaction. C’est pulpeux, ce qui permet un bon équilibre avec les tanins plutôt fermes. Bien que je préfère les versions plus dénudées qui misent sur la pureté du fruit que l’omniprésence du bois, c’est un vin simple et efficace qui sera à son mieux avec une pièce de bœuf longuement grillée. Uniquement disponible en SAQ Dépôt.
Pour offrir ou se faire plaisir
Chacra Pinot Noir Cincuenta y Cinco 2012 [ ★★★★ | $$$$ ]
13,3 %, Rio Negro, Argentine
Type: vin rouge sec
Code: 11602867
Prix: 53 $
Sous-appellation de Patagonie, le Rio Negro est la région la plus au sud d’Argentine. On y fait parmi les meilleurs pinots noirs du pays. Vignes plantées en 1955 - d’où le nom Cicuenta y Cinco - donnant un vin au fruit mûr et enveloppant. Ça pinotte bien au nez, mais le boisé racoleur, rappelant des notes de caramel, d’épices et de fumée, tend à prendre le dessus. Matière fournie, assez grasse, mais qui conserve un côté ciselé et une élégance qui paraît naturelle. Finale affirmée, de bonne finesse et de longueur appréciable. Un petit régal, digeste au possible qui risque de disparaître rapidement une fois dans votre verre. Pas donné, mais la qualité est indéniable tout autant que le plaisir.
★ Correct
★ ★ Bon
★ ★ ★ Très bon
★ ★ ★ ★ Excellent
★ ★ ★ ★ ★ Exceptionnel
Plus d’étoiles que de dollars: vaut largement son prix.
Autant d’étoiles que de dollars: vaut son prix.
Moins d’étoiles que de dollars: le vin est cher.