Big bang économique en Argentine


FRANCFORT – La semaine dernière, le gouvernement du président argentin nouvellement élu, Mauricio Macri, a initié un audacieux programme destiné à redynamiser une économie éprouvée, assiégée, et gangrénée par une inflation vertigineuse. À l’heure où une nouvelle crise menace le pays, il convient de ne pas sous-estimer l’importance de cette démarche, non seulement pour l’Argentine mais également pour d’autres pays, dont les dirigeants sont à l’affût du moindre indice sur la manière de remédier à leurs propres difficultés économiques.

 

Lundi 21 décembre 2015.

Conséquence d’une mauvaise gestion, l’économie de l’Argentine enregistre des performances insuffisantes depuis plusieurs décennies. Les gouvernements précédents se sont efforcés d’esquiver les décisions politiques difficiles et de contourner les problématiques fondamentales, en appliquant des contrôles inefficaces qui ont abouti à une piètre répartition des ressources, et mis à mal la capacité de l’Argentine à générer les gains en devises étrangères nécessaires pour couvrir le coût de ses importations, provoquant des pénuries sur le plan intérieur. La récente baisse du prix des matières premières est venue aggraver la situation, épuisant le peu de dynamisme de croissance qu’il restait à l’économie, tout en alimentant l’inflation, le creusement de la pauvreté, ainsi que la propagation de l’insécurité économique et de l’instabilité financière.

En théorie, les gouvernements confrontés à une telle situation disposent de cinq possibilités fondamentales pour endiguer un contexte de crise, dans l’attente des effets engendrés par des mesures de redynamisation de la croissance et des moteurs de l’emploi.

·         Puiser dans les réserves financières et les richesses accumulées lorsque l’économie était en meilleure santé.

·         Emprunter auprès de prêteurs étrangers et nationaux.

·         Réduire directement la dépense publique, tout en créant des incitations en faveur d’une moindre dépense du secteur privé.

·         Générer des recettes via une hausse des impôts, des taxes, et produire davantage de revenus en provenance de l’étranger.

·         Recourir au mécanisme des prix afin d’accélérer les ajustements dans l’ensemble de l’économie, ainsi que les interactions commerciales et financières avec les autres pays.

À condition d’être soigneusement élaborées et coordonnées, ces cinq mesures peuvent contribuer non seulement à contrer les difficultés économiques et financières immédiates, mais également installer un contexte propice à une plus forte croissance, à la création d’emplois, ainsi qu’à une stabilité financière à plus long terme. Elles peuvent ainsi contenir la propagation de l’adversité économique au sein de la population, protéger les catégories les plus vulnérables, et ancrer les générations futures sur de meilleures bases.

Dans la pratique, en revanche, les gouvernements sont bien souvent confrontés à des complications qui mettent à mal la mise en œuvre efficace de ces mesures. Lorsque les dirigeants politiques ne sont pas suffisamment prudents, deux difficultés peuvent notamment survenir et s’aggraver mutuellement, jusqu’à menacer de pousser l’économie dans le précipice.

La première difficulté surgit lorsque plusieurs facteurs spécifiques, qu’ils soient réels ou perçus, entravent certaines possibilités présentes au menu de l’ajustement. Certaines options peuvent avoir déjà été épuisées : il est possible que le pays ne dispose plus de richesses ou de réserves dans lesquelles puiser, ou que les prêteurs se fassent trop rares. D’autres mesures, telles que l’ajustement budgétaire, doivent alors être appliquées avec le plus grand soin, afin d’éviter de torpiller l’objectif de croissance.

La deuxième difficulté réside dans le timing, les gouvernements s’efforçant de veiller à ce que les mesures prennent effet au cours de la bonne séquence. Une mise en œuvre efficace exige la compréhension des caractéristiques clés relatives aux interactions économiques et financières, parmi lesquelles non seulement les effets de feedback, mais également les aspects comportementaux liés aux réactions du secteur privé. Tout ceci doit par ailleurs être étroitement coordonné avec la poursuite de réformes du côté de l’offre, visant à promouvoir une croissance solide, durable et inclusive.

C’est ici que l’approche du gouvernement Macri constitue une exception historique. Macri a pris les rênes de la présidence en adoptant une stratégie fondée sur l’explosivité, sur le déclenchement et sur l’audace – une stratégie extrêmement risquée – qui place l’accent sur une libéralisation agressive des prix ainsi que sur une suppression des contrôles quantitatifs, au préalable des cinq mesures liées à la gestion de la demande et à l’assistance financière. On constate d’ores et déjà un abandon de la plupart des taxes d’exportation et des contrôles monétaires, une réduction de l’imposition des revenus, ainsi qu’une émancipation du taux de change, ce qui a abouti à une immédiate dépréciation de 30 % du peso argentin.

Sur le plan historique, rares sont les gouvernements à avoir appliqué ce type de séquençage, qui plus est avec une telle ferveur ; la plupart d’entre eux se montrant en effet hésitants, notamment lorsqu’il est question de pleine libéralisation monétaire. Ceux des gouvernements à avoir entrepris ce type de mesures l’ont généralement fait à l’issue – ou au moins en parallèle – d’apports financiers et d’efforts de maîtrise de la demande.

Ceci s’explique aisément : en prenant le temps de créer les conditions propices à une libéralisation, ces gouvernements espéraient limiter le pic initial de l’inflation des prix, évitant ainsi une spirale salaires-prix et endiguer la fuite des capitaux. Ces gouvernements craignaient qu’en cas d’apparition de telles difficultés, celles-ci viennent saboter les mesures de réforme ainsi qu’éroder le soutien populaire nécessaire pour aller de l’avant.

S’il entend redynamiser l’économie argentine de manière durable et inclusive, le gouvernement Macri va devoir agir rapidement afin de mobiliser une aide financière extérieure conséquente, de générer des ressources domestiques supplémentaires, et d’appliquer des réformes structurelles plus en profondeur. S’il y parvient, l’audacieuse stratégie économique de l’Argentine pourra devenir un modèle d’aujourd’hui et de demain pour les autres pays. Mais si cette approche échoue – en raison d’un mauvais séquençage ou d’une poussée de mécontentement populaire – ces autres pays hésiteront encore plus à lever les contrôles ainsi qu’à libéraliser pleinement leur monnaie. La confusion politique qui en résulterait serait alors désastreuse pour tous.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2015


 

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