Le Ghanéen Bayan Mahmud, bientôt 19 ans, rêvait d'une vie meilleure en Europe, mais le destin est parfois imprévisible: le bateau qui l'a emmené en passager clandestin l'a conduit à Buenos Aires, où il joue maintenant pour l'équipe B de Boca Juniors.
Arrivé à 15 ans en Argentine, il ne pensait même pas devenir footballeur, mais, en disputant des matches dans le quartier populaire de Constitucion, il s'est forgé une réputation qui l'a conduit à la Bombonera, le stade de Boca.
Le rêve de cet arrière droit ou milieu de terrain défensif, c'est de jouer pour l'équipe première de Boca Juniors, entraînée par Carlos Bianchi. "Et de là, un jour, jouer en France, confie le Ghanéen. J'ai vu qu'en France, il y a beaucoup, beaucoup d'Africains".
Il vit à la Casa Amarilla (maison jaune, en espagnol), le centre d'entraînement où les jeunes joueurs du club sont hébergés, à 200 mètres de la Bombonera.
Des cadres du club se sont pris d'affection pour lui. "La montre que tu m'as vendue retarde de 15 minutes", lui lance un ancien joueur du club pendant l'entretien avec une journaliste de l'AFP, référence aux montres vendues par des Sénégalais dans les rues de la capitale.
De Bukaw à Boca
Hugo Perotti, ancienne gloire de Boca des années 1970 et 80, l'a pris sous son aile. "Le temps dira si son destin croise celui de l'équipe première, dit-il. Mais après ce qu'il a enduré dans sa vie, grâce à Dieu, il a trouvé le football et Boca".
A 10 ans, Bayan fuit la ville de Bukaw (Nord-Est du Ghana) après le meurtre de ses parents lors d'un conflit opposant les ethnies Kusasi, à laquelle il appartient, et Mamprusi. "J'étais sorti avec mon frère Muntala, raconte-t-il, et quand nous sommes retournés à la maison, nos parents étaient morts".
Les deux garçons trouvent refuge dans un orphelinat. Quelques années plus tard, de nouvelles tensions ethniques éclatent. Il perd de vue son frère aîné dans l'affolement, et se retrouve brusquement livré à lui-même.
Une période dont les souvenirs sont restés brouillés encore aujourd'hui: "Tout se bousculait dans ma tête, il fallait fuir. Alors j'ai couru, j'ai couru. Puis je suis arrivé dans un port. On m'a aidé à monter dans un bateau en me disant qu'il partait vers l'Europe".
A bord, il est découvert par un membre d'équipage. Plutôt que de le jeter à la mer comme c'est parfois le sort des passagers clandestins, le marin le nourrit, au contraire, tout au long de la traversée de l'Atlantique.
L'adolescent débarque le 7 octobre 2010 en Argentine, sans connaître un mot d'espagnol ni même savoir où il est. "Je ne savais même pas comment demander de l'eau, dit-il dans un espagnol approximatif, appris dans la rue. Avant d'arriver en Argentine, je ne connaissais que Maradona, Messi et Tevez".
Des Sénégalais l'aident à entreprendre les démarches administratives au port de Buenos Aires et il atterrit dans un centre d'accueil de réfugiés.
La tête qui tourne
"Un jour, j'étais dans un parc, je regardais des gens jouer. Un joueur de l'équipe qui perdait m'a proposé de jouer. Je suis entré sur le terrain et on a gagné", se souvient-il avec un large sourire. Il a même empoché de l'argent pour sa prestation et a été convié à revenir tous les samedis.
Trois mois plus tard, cet admirateur du milieu de Barcelone Andrès Iniesta était enrôlé par Boca Juniors.
Même s'il essuie parfois des moqueries qui le blessent, Bayan revendique son identité musulmane et prie cinq fois par jour devant des coéquipiers médusés: "Avec tout ce qui m'est arrivé jusqu'ici, je crois que Dieu m'a aidé. La religion, c'est très important pour moi".
Le dimanche, il assiste au match de ses aînés Roman Riquelme et Fernando Gago. Dans les travées de la Bombonera, les supporteurs le saluent et se prennent en photo avec lui.
"La première fois que je suis entré à la Bombonera, confie le Ghanéen, j'avais la tête qui tournait".
La ferveur est grande dans les gradins du club le plus populaire d'Argentine. Et le rêve est beau pour le clandestin devenu footballeur professionnel.