Repsol est de retour. Fragilisé par la nationalisation de son importante filiale argentine en 2012, le champion espagnol de l'énergie a annoncé, mardi 16 décembre, une énorme acquisition qui doit lui permettre de revenir dans le club des grands du pétrole. Le groupe s'apprête à mettre la main sur Talisman Energy, une société pétrolière de premier plan au Canada. A l'issue d'une semaine de négociations intensives, un accord a été conclu lundi avec le conseil d'administration de Talisman.
La transaction se monte à 13 milliards de dollars américains, soit 10,4 milliards d'euros. Sur ce total, Repsol paiera 8,3 milliards de dollars en cash, le reste correspondant à la reprise des dettes de Talisman. Par son montant, ce mariage constitue la plus importante opération d'un groupe espagnol hors de ses frontières depuis cinq ans.
Repsol était en chasse depuis des mois. En avril 2012, l'entreprise avait subi une lourde amputation. Le gouvernement argentin avait alors nationalisé sa filiale YPF. « L'Argentine est le seul pays d'Amérique latine qui ne contrôle pas ses ressources naturelles », avait expliqué la présidente péroniste, Cristina Kirchner, pour justifier cette expropriation. Les Espagnols ont « pillé » YPF, rapatriant jusqu'à 90 % de leurs gains au lieu d'investir sur place, avait ajouté Axel Kicillof, son vice-ministre de l'économie.
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TRAUMATISME
Pour Repsol, le coup avait été terrible. YPF représentait un tiers de ses bénéfices et surtout des réserves de pétrole considérables, notamment le gisement de Vaca Muerta que l'espagnol avait toujours présenté comme « la plus grande découverte de son histoire ». Après ce traumatisme, le groupe présidé par Antonio Brufau avait décidé de se reconstruire. Début 2013, il avait d'abord cédé à Shell la majeure partie de son activité de gaz naturel liquéfié, afin d'alléger son endettement. Puis il s'était mis en quête d'une acquisition importante. Avec en poche les 6,3 milliards de dollars de compensation accordés par l'Argentine.
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« Nous avons analysé de façon exhaustive plus de 100 entreprises et actifs à travers le monde », a expliqué mardi Josu Jon Imaz, le patron opérationnel de Repsol. C'est sur Talisman que son choix s'est fixé. Les premiers contacts entre les deux groupes ont été révélés en juillet 2014. Ancienne filiale canadienne du britannique BP, devenue indépendante en 1992, Talisman était déjà au centre des convoitises. Notamment en raison de sa présence sur le gisement de Marcellus, dans les Appalaches, une des grandes zones de production de gaz de schiste aux Etats-Unis.
En 2013, le milliardaire Carl Icahn avait pris une participation dans le capital de Talisman, pour pousser la direction à examiner toutes les options stratégiques possibles – y compris une vente. Et fin 2013, GDF Suez avait étudié le dossier, sans aboutir à un accord.
Depuis, la chute des cours du pétrole a changé la donne. L'action de Talisman a plongé de plus de 70 %, les investisseurs s'inquiétant pour la rentabilité du groupe. Ses dirigeants sont donc devenus moins gourmands dans leurs discussions avec Repsol et d'autres candidats, dont le fonds canadien CPPIB, selon Bloomberg.
BAISSE DES COURS DU BRUT
Le prix retenu de 8 dollars américains par action est certes supérieur de 75 % au cours de Bourse moyen des sept derniers jours. Mais il reste bien en deçà de ce que valait l'action Talisman jusqu'en septembre. En 2011, le cours était même monté à 25 dollars.
Repsol, dont la valeur boursière a elle aussi fléchi, paie donc une somme limitée pour une acquisition qui doit transformer le groupe. D'un coup, sa production va bondir de 76 %, pour atteindre 680 000 barils par jour. Ses réserves vont s'accroître de 55 %, à 2 353 milliards de barils. Le nouvel ensemble, qui comptera plus de 27 000 personnes, « fera partie des 15 premières compagnies pétrolières et gazières à capitaux privés de la planète », se félicite-t-on à Madrid.
Le futur Repsol bénéficiera notamment des actifs de Talisman en Amérique du Nord, mais aussi en Indonésie, en Malaisie, au Vietnam, ainsi qu'en Colombie et en Norvège. Au-delà de l'effet de taille, qui permettra quelques économies d'échelle, l'enjeu pour l'espagnol consiste à développer les activités qu'il va intégrer et à maintenir leurs profits.
Un double défi, compte tenu de la baisse des cours du brut. Les gisements nord-américains du type de ceux exploités par Talisman paraissent en effet assez vulnérables, du fait de leurs coûts de production plutôt élevés. Quant à la production du canadien, elle n'a cessé de diminuer depuis 2008. Les plans actuels prévoient une remontée ces prochaines années. Encore faudra-t-il que la conjoncture le permette.