Argentine: une longue tradition policière de brutalité, d …

L'incompétence, la corruption et la brutalité de la police argentine sont une tradition ancienne, qui touche toutes ses composantes tant fédérales que provinciales (en particulier dans les provinces de Buenos Aires et de Santa Fe) y compris la Gendarmerie. La situation s'est aggravée dans les vingt dernières années à proportion de la puissance financière acquise par les narco-trafiquants pour acheter les policiers censés les combattre.
De ce point de vue, la police argentine n'a plus grand chose à envier (si l'on peut dire...) à la police mexicaine.
En Argentine, le problème de la corruption et de l'arbitraire policier est ancien: sans remonter jusque à la féroce Mazorca de Rosas ou à la police très politique des “libéraux” Mitre et Sarmiento, les lecteurs francophones de ce blogue pourront se reporter au fameux récit d'Albert Londres “La route de Buenos Aires (la traite des blanches)” paru en 1927 et qui décrit bien comment les proxénètes marseillais ou juifs polonais arrosaient massivement la police de Buenos Aires et celle de Rosario.
Ceux qui en douteraient encore devraient lire l'ouvrage publié l'an passé par R. Barbano “Sangre Azul, une historia criminal de la policia federal argentina” qui récapitule les cas les plus pittoresques et les plus scandaleux de corruption et de violence policière du 18ème siècle à nos jours.
Un ouvrage plus ancien de C. Dutil et R. Ragendorfer “La Bonaerense” paru il y a près de vingt ans décrit les nombreuses turpitudes de la police provinciale du même nom qui furent également crûment mises au jour par le film de P. Trapero “El Bonaerense” (2002) qui suit le parcours initiatique d'une jeune recrue formée sur le tas aux diverses modalités de la délinquance policière locale, à la grande époque où le parrain péroniste Duhalde (qui devint président de la république par intérim en 2002-2003) régnait sur la province de Buenos Aires.
Dans la période moderne, les dictatures fascistes d'Uriburu (1930-1931) puis du GOU amenant Péron au pouvoir (1942-1945) ont considérablement aggravé le degré d'arbitraire et de brutalité policière déjà mis en évidence par les brutales répressions anti-ouvrières menées au début du 20ème siècle par le colonel Falcon et ses épigones. Le sadique commissaire Lugones (fils du célèbre écrivain hyper-nationaliste Leopoldo Lugones, qu'on peut voir comme un équivalent local de Barrès et Mauras dans la France de l'entre-deux-guerres) et ses successeurs péronistes, dont les sinistres tortionnaires Lambilla et Wasserman, ont pendant des années impunément torturé et assassiné des centaines d'opposants syndicaux et politiques. Il est d'ailleurs révélateur que Lopez Rega, le futur secrétaire privé de Peron en exil dans l'Espagne de Franco et fondateur de la tristement célèbre Triple A, entama sa ténébreuse carrière au sein de la même police fédérale en 1948.
Les dictatures des années 1960 et 70 n'ont fait que réutiliser et relancer à plus grande échelle l'appareil répressif créé par Peron et sa mafia.
La responsabilité historique des péronistes dans la déliquescence contemporaine de la police argentine est donc immense mais il faut ici reconnaître que les Kirchner s'étaient engagés à ne pas utiliser la répression policière contre les mouvements sociaux (le souvenir des dizaines de morts de la crise de 2001-2002 était encore très vif à l'arrivée de Kirchner au pouvoir en 2003) et qu'ils ont grosso modo tenu parole, alors que le tout nouveau gouvernement de droite de M. Macri semble pressé de renouer avec les mauvaises habitudes répressives du passé.
Cela dit, à part la notable purge menée par L. Arslanian lorsqu'il était ministre de la sécurité de F. Sola, afin de nettoyer la direction de la Bonaerense et de réorienter l'action policière vers la prévention, le bilan des péronistes qui se sont succédés à la tête de la province de Buenos Aires (et en particulier de leur récent candidat présidentiel D. Scioli qui fut pendant dix ans gouverneur de cette énorme province ainsi que de son prédécesseur C. Ruckauf au discours aussi brutalement ultra-sécuritaire que celui que tient aujourd'hui S. Massa) est désastreux.
Quant au niveau national, aucune réforme visant à épurer puis à professionnaliser la police fédérale n'a été entreprise par les Kirchners en douze ans de pouvoir, et il a fallu l'affaire Nisman pour que CFK se décide enfin à faire le ménage dans la SIDE dont elle-même et son mari avaient entre temps usé et abusé pour faire de l'espionnage politique comme tous leurs prédécesseurs (pour comprendre le fonctionnement du système et le rôle particulièrement nocif joué pendant 30 ans par Stiuso, l'homme de la CIA dans les services de renseignements argentins, lire “Codigo Stiuso” de G. Young.)
Le récent feuilleton de l'évasion du trio Lanatta-Schillaci, récupéré après deux semaines de cavale rocambolesque, a une fois de plus mis en évidence l'inefficacité de la police fédérale comme de la Bonaerense (c'est la police de Santa Fe, pourtant décapitée l'an passé pour cause de complicité de son chef avec le narco-trafic, qui a finalement capturé les fugitifs) et réveillé le spectre des liaisons dangereuses entre les délinquants, les agents électoraux du péronisme des banlieues et les politiciens locaux voire nationaux.
La récente nomination à la tête de l'AFI (agence de renseignement ayant remplacé la SIDE suite aux remous créés par l'affaire Nisman) d'un non-professionnel dont la seule qualité connue est d'être un ami personnel du président Macri montre que le nouveau gouvernement ne semble pas déterminé à sortir des ornières où se sont volontairement enlisés tous ses prédécesseurs.

 

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