BUENOS AIRES (AFP) - Le procès du Plan Condor, visant à éliminer les opposants politiques aux dictatures militaires d'Amérique du Sud, a débuté mardi à Buenos Aires, avec deux anciens présidents parmi les accusés, Jorge Videla et Reynaldo Bignone.
Des centaines de militaires et de policiers ont déjà été jugés en Argentine pour crimes contre l'humanité, torture, et enlèvements commis pendant les années de dictature (1976-1983), mais c'est la première fois qu'un procès est consacré au Plan Condor, un mécanisme multinational de coopération entre l'Argentine, le Chili, l'Uruguay, la Bolivie, le Paraguay et le Brésil.
Grâce au plan Condor, les juntes militaires pouvaient faire exécuter ou enlever un opposant réfugié dans l'un de ces pays. A cette époque-là, de nombreux groupes armés de gauche contestaient leur légitimité en Amérique du Sud.
Le procès a débuté avec trois heures de retard et un public clairsemé assistait aux débats. Plusieurs avocats de la défense ont demandé un report du procès.
Pour les associations de défense des victimes, le Plan Condor était l'expression d'un "terrorisme d'Etat", pour les défenseurs des militaires, il fallait lutter contre "la menace communiste".
"Les militaires considéraient que pour augmenter l'efficacité de la répression, il fallait coordonner les efforts, car l'ennemi était commun, d'où le Plan Condor", observe l'écrivain Ceferino Reato, auteur d'un ouvrage de référence -Disposition finale- dans lequel il interviewe Jorge Videla.
Assis au dernier rang des 25 accusés, Jorge Videla, 87 ans, vêtu d'un costume sombre, qui écoute sans ciller, est défendu par un avocat commis d'office.
Pour celui qui a dirigé l'Argentine d'une main de fer de 1976 à 1981, il s'agit du quatrième procès. Emprisonné depuis 2010 après avoir été assigné à résidence, il purge une peine de prison à vie pour crimes contre l'humanité.
Justice ou vérité
Le général Luciano Menendez, 85 ans, surnommé "la hyène" parce qu'il riait pendant les séances de torture, n'était pas présent à l'ouverture du procès. Il risque de voir s'abattre sur ses épaules une 8e condamnation. Il s'est vu infliger sept fois la peine maximale encourue. La dernière pour le meurtre du prêtre français Gabriel Longueville en 1976.
Le dernier général à diriger l'Argentine (1982-1983), Reynaldo Bignone, était présent mardi sur le banc des accusés. Il a lui aussi déjà été condamné, en 2012 en même temps que Videla, pour vols de bébés d'opposants qui étaient ensuite adoptés par des fonctionnaires du régime.
Au total, une vingtaine de hauts fonctionnaires argentins sont jugés pour crimes contre l'humanité par trois juges du Tribunal fédéral numéro un de Buenos Aires.
L'écrivain Ceferino Reato se félicite que les militaires soient traduits devant la justice, mais estime que ces procès empêchent l'éclosion de la vérité.
"En Argentine, nous avons préféré la Justice à la vérité. En Afrique du Sud, ils ont préféré la vérité à la Justice. Au Brésil, ils n'ont ni Justice, ni vérité" en raison des lois d'amnistie.
Il met en avant la douleur des familles qui n'ont jamais pu faire le deuil des disparus -30.000 morts et disparus, selon les organisations des droits de l'homme- car les policiers ou militaires jugés n'ont jamais révélé comment ils faisaient disparaître les cadavres.
Carolina Varsky, avocate du Centre d'études légales et sociales (CELS), qui représente les intérêts des familles de victimes, espère que le procès sera l'occasion d'établir que les Etats-Unis sont impliqués dans le Plan Condor. D'autres comme Ceferino Reate pensent que Washington n'y a pas participé.
L'Argentine est le seul pays du monde à détenir dans ses geôles deux anciens présidents et le seul d'Amérique du Sud à avoir opté pour la tenue de multiples procès, alors que d'autres pays ont choisi l'amnistie.
L'Argentine a rompu avec la politique d'amnistie quand Nestor Kirchner, président de 2003 à 2007, a annulé les lois exemptant les militaires de procès, votées sous la présidence de Carlos Menem (1989-1999).