Par notre correspondant à Buenos Aires,
Mauricio Macri, le nouveau président de l’Argentine, qui a pris ses fonctions le 10 décembre, a été élu sur le thème du changement. De fait, l’alliance qui a soutenu sa candidature et l’a conduit au pouvoir, formé par son parti, Proposition républicaine ou Pro, les radicaux et la Coalition civique, portait le nom de « Cambiemos » (Changeons). Mais de quel changement s’agit-il ?
La première rupture déclarée avec les 12 années de l’ère Kirchner, et tout particulièrement les deux mandats de Cristina Kirchner - qui avait succédé en 2007 à son mari Néstor, élu quatre ans plus tôt -, concerne l’exercice du pouvoir. C’est d’abord une question de style : à la véhémence de l’ancienne présidente, toujours prête à en découdre avec ses adversaires et à tancer ses alliés, succède la modération d’un homme qui en appelle au dialogue et à la concertation. On l’a vu dès ce 10 décembre, quand Macri a pris la parole devant le Parlement en une allocution aussi brève que sobre où il n’a attaqué personne. Rien à voir avec les longs discours enflammés de Kirchner, où tout le monde en prenait pour son grade.
Mais ce n’est pas uniquement une affaire de style. Cristina Kirchner exerçait son autorité en solitaire, contactait ses ministres individuellement ou les convoquait en petit comité, sans jamais tenir des réunions de cabinet. Mauricio Macri met en avant le travail d’équipe et, comme il l’a fait dans les huit ans où il été maire de Buenos Aires, il a annoncé qu’il réunirait régulièrement son gouvernement. Toujours en guerre avec ceux qui ne partageaient pas son avis, Kirchner n’a jamais reçu les dirigeants de l’opposition. Macri a inauguré son mandat en recevant, ce 11 décembre, Daniel Scioli, le péroniste qu’il a battu au second tour du 22 novembre, puis Sergio Massa, arrivé en troisième position au premier, et a lancé des invitations aux autres trois candidats qui se sont présentés à la présidentielle.
Dans le même esprit, le nouveau président sera plus respectueux du Parlement, où il n’a pas la majorité, alors que Kirchner, dont les partisans dominaient les deux chambres, l’a parfois ignoré. Elle s’en est souvent prise aux juges, qu’elle accusait de lui mettre des bâtons dans les roues, et a appuyé les magistrats « militants » qui entendaient la soutenir. Macri s’est engagé à respecter l’indépendance de la justice et à ne pas y favoriser un courant qui lui serait favorable.
Une politique d'austérité pour relancer l'économie
Il y aura rupture, aussi, en ce qui concerne la politique économique, après le dirigisme des Kirchner. Ses adversaires accusent Macri de vouloir revenir au libéralisme sans frein des années 90, qui avait conduit à la crise de 2011, et de remettre en cause les conquêtes sociales des gouvernements kirchnéristes. Est dénoncée, en particulier, une dévaluation à venir qui ferait baisser le pouvoir d’achat des salariés et des plus démunis. La réalité est sans doute plus nuancée. Macri a bien annoncé une libéralisation de l’économie et la levée du contrôle des changes, ce qui se traduira effectivement par une dévaluation. Mais, pour la majorité des Argentins, il s’agit d’un changement de cap attendu, nécessaire pour beaucoup, et inévitable, compte tenu des problèmes accumulés au cours des dernières années : s’il avait gagné, Scioli, le dauphin de Cristina Kirchner, aurait fait la même chose.
Le contrôle des changes, en particulier, a maintenu artificiellement le peso surévalué par rapport au dollar et aux autres devises, comme l’euro et le real brésilien. Il a entraîné la création d’un marché parallèle, vidé les caisses de la Banque centrale et ruiné des provinces dont les produits, non compétitifs au taux de change officiel, ne trouvent plus preneur à l’étranger. Quand il sera levé, le cours légal du dollar, actuellement de 9,70 pesos, devrait s’approcher de sa valeur sur le marché non officiel, légèrement supérieure à 14 pesos, ce qui représente une dévaluation de l’ordre de 45%. Mais cette modification du taux de change, pour laquelle Macri a décidé d’attendre que les réserves de la Banque centrale soient renforcées (grâce à l’entrée de devises provenant des exportations agricoles, des prêts bancaires en cours de négociation et le retour de capitaux détenus à l’extérieur par des Argentins), sera accompagnée de mesures destinées à en limiter l’impact de la dévaluation sur la population.
Pour les plus démunis, et en particulier les travailleurs du secteur informel (près de 30 % des actifs), il est prévu le versement d’une allocation spéciale de compensation de la perte de pouvoir d’achat. Quant aux classes moyennes, elles bénéficieront d’un relèvement des barèmes de l’impôt sur le revenu : ne seront plus imposables les salariés gagnant moins de 30 000 pesos (un peu plus de 3 000 dollars), contre 20 000 actuellement.
Par la suppression d’autres freins à l’activité économique, comme les taxes aux exportations agricoles (sauf pour le soja, premier produit exporté, dont la taxation diminuera progressivement) ou les autorisations d’importation, qui ont ralenti l’activité de nombreuses entreprises, Macri espère un retour à la croissance au second semestre 2016, qui sera soutenue par un programme d’investissements publics annoncé comme le plus important de l’histoire du pays. Loin du « moins d’Etat », le nouveau président affirme vouloir un Etat « plus efficace ». Il s’est par ailleurs engagé à conserver dans le secteur public les sociétés renationalisées par les Kirchner, comme le groupe pétrolier YPF, première entreprise du pays, et la compagnie aérienne Aerolíneas Argentinas.
A la fois libéralisme, intervention de l’Etat et aides sociales
Pour ce qui est du social, Macri s’est également engagé à maintenir les négociations salariales annuelles par branche, dites « paritaires », qui se sont toujours conclues ces dernières années sur des augmentations supérieures ou égales à l’inflation, ainsi que le système public de retraites et l’ensemble des prestations accordées aux travailleurs et aux plus démunis. Dans son discours du 10 décembre, il a par ailleurs annoncé que les allocations familiales seraient étendues aux familles qui n’en bénéficient pas encore.
Alors, libéral, Mauricio Macri ? S’il est vrai que ce riche fils d’entrepreneur est marqué par ses origines, on peut penser qu’il a évolué. On a peu noté que, dans son discours d’investiture, il a terminé en citant Arturo Frondizi, un radical président de l’Argentine entre 1958 et 1962, dont la politique économique a été inspirée par le « desarrollismo » (de desarrollo, développement), une doctrine associant libéralisme, intervention de l’Etat et aides sociales, quelque part entre l’économie sociale de marché allemande et la social-démocratie traditionnelle. Deux des plus proches collaborateurs de Macri se réclament ouvertement du « desarrollismo » : le ministre des Finances Rogelio Frigerio, petit-fils d’un des animateurs de ce courant, et le nouveau maire de Buenos Aires Horacio Rodríguez Larreta, dont le père était ami de Frondizi.
Fondé il y a à peine plus de dix ans, le Pro, le parti de Macri, a attiré des gens d’horizons divers : beaucoup venus du monde de l’entreprise et sans passé politique, mais aussi des hommes et des femmes engagés dans la société civile, ainsi que des militants de centre gauche et même des péronistes. C’est un parti du XXI° siècle et, selon le nouveau ministre de la Culture Pablo Avelluto, c’est aussi « le premier parti né au XXI° siècle qui arrive au pouvoir dans le monde. » Peut-être que cela justifie qu’on ait encore du mal à définir le changement dont il est porteur.
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