Argentine: l’heure du choix repoussée

On connaissait l’irritation croissante des Argentins envers leur gouvernement, on sait désormais qu’une part importante de ­l’électorat est prête à risquer le changement. Une majorité? Il faudra attendre le second tour de la présidentielle, le 22 novembre, pour le savoir.
Mais entre l’ancien favori Daniel Scioli (centre-gauche) et le challenger Maurizio Macri (droite libérale), crédités respectivement de 36,8% et 34,4% des voix, la tendance semble s’être inversée. Ce dernier, maire de Buenos Aires, qui ronge son frein depuis une décennie face à l’hégémonie des époux Kirchner, a pour une fois déjoué les pronostics. Limant son discours de toute aspérité trop libérale, il a forcé l’héritier présumé à un second tour périlleux.
Or, au vu de la participation massive de dimanche (80%), le sort du second tour est entre les mains des électeurs du troisième homme, le péroniste de centre-droit Sergio Massa (21%)1: cinq millions d’Argentins, pour beaucoup des anciens électeurs de Cristina Kirchner, qui ont appuyé ce partisan du changement… dans la continuité.
Entre Macri et Scioli, de quel côté pencheront-ils? Le pronostic est d’autant plus hasardeux que le premier tour aura été d’une rare confusion, où chacun des trois principaux candidats s’est échiné à offrir le même produit électoral. On a ainsi vu le néolibéral Maurizio Macri, peu connu pour d’hypothétiques avancées sociales à Buenos Aires, défendre les conquêtes des gouvernements précédents, tandis que le sortant, Daniel Scioli, censé représenter le nationalisme social des Kirchner, prêchait le rabibochage avec les Etats-Unis et les institutions de Bretton Woods. De quoi renforcer le trouble de nombre ­d’électeurs, écartelés entre l’attachement au chemin parcouru et leurs désirs de changement.
Rares, en effet, sont les Argentins à contester la pertinence des politiques économiques, sociales, éducatives, sanitaires ou financières menées depuis douze ans par Buenos Aires. S’ils n’ont pu mener à bien leur projet de diversification de l’économie – bloqués en 2008 par la révolte du secteur agro-exportateur –, les époux Kirchner ont quand même remis le bien commun au milieu du village argentin. Les plus libéraux hésitent aujourd’hui à promettre des privatisations. Et surtout pas celles des fleurons Repsol ou Aerolineas Argentinas. Quant à la place reconquise par l’Argentine dans le concert des nations, elle n’est pas la moindre des fiertés.
A contrario, l’usure du système politico-électoral des Kirchner, privé pour la première fois de ses figures tutélaires, est réelle. Après des progrès, l’Etat de droit argentin rencontre à nouveau une difficulté folle à faire reculer le clientélisme, la corruption et l’opacité dans la gestion de la puissance publique. Face au ralentissement planétaire de l’économie et à la difficulté de juguler l’inflation, ces «défauts» hier pardonnés au péronisme ont de plus en plus de peine à passer.
Dans ce contexte de désenchantement, le pâle Scioli n’était probablement pas le meilleur candidat pour valoriser l’héritage de Nestor et Cristina Kirchner. Il lui reste moins de quatre semaines pour rappeler qu’au-delà des postures, la gauche et la droite ne s’équivalent plus tout à fait en Amérique latine depuis une quinzaine d’années.
 

  • 1. A noter encore les 3,5% de la gauche radicale et les 2,5% des sociaux-démocrates.

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