Hier, un des principaux candidats péronistes à la présidentielle de l'an prochain, Sergio Massa (maire de Tigre, une ville mi-résidentielle mi-populaire de la banlieue nord de Buenos Aires) a convoqué la presse pour annoncer qu'il avait déjà recueilli 2 millions de signature contre le projet de nouveau Code Pénal.
Le gouvernement kirchnériste a récemment poussé les feux sur ce projet similaire en plusieurs points à la réforme Taubira (renforcement des droits de la défense, conversion des courtes peines de prison en travaux d'intérêt général). Dans le jargon local on qualifie ce projet de "garantista" (ce qui est soit un compliment soit une dénonciation.)
Ses opposants ont riposté, comme l'UMP et le FN chez nous, en lançant une campagne contre le laxisme judiciaire et le supposé souci du gouvernement de protéger les assassins plutôt que les victimes; bref, rien que du classique: la démagogie, là-bas comme ici, plus c'est épais mieux c'est.
Il y a quelques mois (cf. un précédent billet sur ce blog) le gouverneur Scioli a d'ailleurs rappelé les policiers retraités de la province de Buenos Aires en réponse à l'offensive sécuritaire de ses opposants (et des médias contrôlés par les grands groupes qui jouent le même rôle que TF1 et consorts vis-à-vis du gouvernement Jospin en 2001-2002 en dénonçant inlassablement la "montée de l'insécurité").
Ceux qui croient encore que le péronisme historique est de gauche (du fait des politiques redistributives menées par Peron lors de son premier mandat) doivent réaliser que les trois quarts des politiciens péronistes pur sucre sont des populistes de droite voire d'extrême-droite qui conjuguent volontiers, comme chez nous Sarkozy et sa clique, néo-libéralisme bon teint, corruption active et passive, et démagogie sécuritaire (Menem, Duhalde, De La Sota, Rodriguez Saa et évidemment Massa lui-même sont des exemples parmi les plus représentatifs).
Si l'action redistributive (plus modeste dans la réalité que dans le discours) des Kirchner peut dans une certaine mesure se réclamer de la dimension sociale du premier péronisme, dans leur démarche "garantista", ils se sont nettement affirmés comme post-péronistes (même si eux aussi, compte tenu des traditions politiques de l'Argentine, se coltinent encore une bonne couche de démagogie et de corruption...) et ils sont de ce point de vue plus proches de la vision de l'Etat de Droit défendue à la sortie de la dictature par un Alfonsin, par exemple, ce qui explique le réflexe de mobilisation de leurs opposants internes qui, quant à eux, n'ont jamais dépassé sur ce point les conceptions autoritaristes et "verticalistes" de Peron.
Massa et les autres démagogues péronistes évitent soigneusement de relever que le problème de la corruption est particulièrement critique dans la police (surtout dans les polices provinciales) et l'appareil judiciaire.
Renforcer les pouvoirs de la police dans ce contexte sous prétexte d'efficacité n'est donc pas forcément une bonne idée pour améliorer la sécurité publique (comme disait Coluche en son temps: "Là où il y a des flics, c'est dangereux"). Un autre problème relevé il y a quelque temps par Horacio Verbitzky dans Pagina/12 est que les gros narco-traficants qui contribuent beaucoup à l'insécurité ambiante ont pris l'habitude de s'installer dans les "countries" (quartiers résidentiels fermés des alentours de Buenos Aires munis de leur propre sécurité privée généralement constitué d'anciens policiers exclus de la Bonaerense pour corruption), où ils sont comme par hasard bien à l'abri de la police pour gérer leurs petites affaires...
Bref il y a bien des choses à faire pour lutter contre l'insécurité: réformer la police, mieux contrôler toutes les zones de non-droit (et pas uniquement les "villas miseria"), mais attaquer sommairement une réforme "garantista" demande moins d'efforts (tant intellectuels que financiers) et peu rapporter gros (électoralement).