Argentine : le mystère de l’affrontement entre le gouvernement et …

La fête du 7-D n’a pas eu lieu. Le gouvernement argentin avait décidé d’appeler ainsi le 7 décembre, date qui devait marquer sa victoire sur le groupe Clarin, contraint de céder de nombreuses chaînes de radio et de télévision, ainsi qu’une partie des abonnés à son réseau câblé, en raison de l’entrée en vigueur de la loi sur l’audiovisuel. Le 7-D était devenu un slogan, utilisé dans des spots télé diffusés aux heures de grande écoute, à la mi-temps des matchs de foot.

Mais une décision de justice de dernière minute a gâché la fête. Dans la soirée du 6 décembre, un tribunal a suspendu l’application de la loi, en attendant qu’un autre juge se prononce sur un recours en inconstitutionnalité présenté par Clarin et concernant deux de ses articles. Tout en dénonçant la supposée soumission de la justice aux pouvoirs économiques, le gouvernement a fait appel auprès de la Cour suprême.

Finalement, et conformément à la Constitution, c’est la plus haute autorité judiciaire du pays qui aura à trancher la question de fond, et dans des délais relativement brefs. Ce ne sera pas le 7-D, mais la loi s’appliquera dans sa version actuelle, ou avec quelques modifications dans les deux articles contestés. Des articles relatifs aux niveaux de concentration autorisés et au temps dont disposent Clarin et les autres groupes ayant plus de licences que permis pour céder leurs actifs.

Revers pour Cristina Kirchner

Pourtant, la présidente Cristina Kirchner n’a pu éviter que l’échec du 7-D n'apparaisse comme une défaite politique. Parce que, dans cette affaire, le gouvernement donne l'impression de ne chercher qu’à affaiblir Clarin, le plus important groupe médiatique du pays. Il ne s’est en effet pas occupé, ou à peine, de faire respecter d’autres dispositions de la loi, non moins importantes et qui sont en vigueur depuis un an, comme l’attribution de fréquences à des organisations de la société civile (ONG, associations, syndicats, universités, etc.), auxquelles le texte réserve un tiers de l’espace audiovisuel. Il ne s’est pas occupé non plus du fait que d’autres groupes - certains d’entre eux proches du pouvoir -, qui n’étaient pas couverts par la mesure suspensive qui protégeait Clarin jusqu’au 7 décembre et qui a été prorogée le 6 décembre, commencent le processus de cession d’actifs excédentaires. Pas plus de l’impartialité et du pluralisme que, toujours selon la loi, doivent respecter les médias publics. Au contraire, depuis que le texte a été voté en octobre 2009, ceux-ci sont devenus encore plus pro-gouvernementaux.

Beaucoup de ceux qui ont défendu la loi et pensent toujours que, sur le papier, elle constitue une avancée vers une régulation démocratique de l’espace audiovisuel, critiquent le gouvernement pour l’avoir transformée en une arme contre Clarin, au lieu de chercher à l’appliquer avec équité.

Rupture consommée

Une attitude d’autant plus incompréhensible a priori que, jusqu’en 2008, le kirchnérisme et le puissant groupe multimédia étaient les meilleurs amis du monde. Au point que la dernière mesure de Nestor Kirchner en tant que président, en décembre 2007, à quelques jours seulement de la prise de fonctions de son épouse, a été d’autoriser la fusion de deux opérateurs de câble avec laquelle Clarin violait la réglementation anti-concentration alors en cours. Fusion qui devrait être annulée si la loi sur l’audiovisuel entrait en vigueur.

La rupture entre le gouvernement et le groupe est devenue publique en 2008, quand le journal Clarin (non concerné par la loi, qui ne régule pas la presse écrite) a couvert l’affrontement entre le gouvernement et les producteurs agricoles avec une évidente sympathie pour ces derniers. Mais le motif réel de la dispute reste un mystère. Il y a eu des réunions en tête-à-tête entre l’ancien président Kirchner et le PDG de Clarin, Hector Magnetto, dont on ne sait rien.

Il faut rappeler que Clarin a appuyé la dictature militaire en son temps, mais aussi les gouvernements démocratiques des anciens présidents Raul Alfonsin et Carlos Menem, qui ont néanmoins terminé leurs mandats en guerre contre le groupe.

Principal opposant

En tout cas, à partir de 2008, une fois consommée la rupture, Clarin a été désigné comme l’ennemi public numéro un par le gouvernement. En 2009, le traitement du projet de loi a été accéléré et des dispositions y ont été introduites qui pourraient avoir été pensées pour affaiblir le groupe. Et, une fois le texte voté, le pouvoir en a fait un instrument de propagande et de lutte contre Clarin.

De son côté, le groupe dirigé par Hector Magnetto a joué aussi l’affrontement. Après avoir parié que la loi ne serait pas traitée par le Parlement, il a mis en place une stratégie judiciaire qui a donné de bons résultats jusqu’ici mais s’épuisera bientôt, tout en se plaçant comme le principal opposant au gouvernement.

C’est ainsi qu’on en est arrivé au 7-D, avec des dégâts institutionnels (plus d’une fois, l’exécutif a attaqué les juges, sans respecter la séparation des pouvoirs) et pour l’information (médias et journalistes sont catalogués pro et anti-Clarin, même quand ils ne sont ni l’un ni l’autre). La décision de la justice du 6 décembre remet un peu les choses en place. Elle laisse ouverte l’issue de l’affrontement entre les deux anciens complices mais donne le dernier mot à la Cour suprême, dont l’indépendance et la qualité sont indiscutées, pour se prononcer avec équité et, peut-être, sauvegarder ce qu'il y a de bon dans la loi.

Leave a Reply