Argentine : Le Monde.fr remet le couvert

2012 : un scénario semblable à celui de 2001 ?

En 2001, au plus fort de la crise économique que traverse l’Argentine, soumise à la politique qu’impose le FMI, les manifestations, englobant des acteurs issus des classes populaires et des classes moyennes se multiplient. Elles sont le point culminant d’un cycle de mobilisations qui remonte à la fin des années 80. En 2012, se tiennent des manifestations contre le gouvernement de centre gauche de Cristina Kirchner. Selon Le Monde, le jeudi 13 septembre, ils étaient « […] entre 60 000 et 200 000 personnes à protester […] contre le gouvernement de "CFK", Cristina Fernandez Kirchner ».

Qu’y a-t-il de commun entre les manifestations de 2001 et celles de 2012 ? Une réponse au moins saute aux yeux et accable les oreilles de journaliste du Monde : les casseroles ! Plus exactement les « cacerolazos », les concerts de casseroles.

En juin, les journalistes du Monde annonçaient déjà leur retour, en faisant mine de s’interroger : « Planerait-il sur l’Argentine un parfum de "déjà-vu" ? Voilà que les cacerolazos, les tapeurs de casseroles, ont refait leur apparition ». Deux mois et demi plus tard, le retour… revient : « Les "cacerolazos" (concerts de casseroles) ont fait leur grand retour , jeudi 13 septembre au soir, dans toute l’Argentine [3]  ».

Mais cette fois, à la différence de l’article 25 juin, Le Monde offre à ses lecteurs un essai de définition du cacerolazo : « […] ces manifestations populaires où les participants n’ont qu’un seul but : faire le plus de bruit possible pour exprimer leur colère ». Les manifestations de 2001 et 2012 n’auraient donc pas seulement en commun le bruit des casseroles, mais leur caractère populaire. Des manifestations populaires, vraiment ? Nous y reviendrons.

Il s’agit peut-être, comme l’écrit la journaliste, de « […] manifestations assourdissantes [qui] n’avaient sans doute pas été aussi importantes depuis 2008 ». Mais peut-on – et à nouveau – affirmer qu’« elles rappellent surtout , de manière tapageuse, la crise économique de 2001 qu’avait dû traverser le pays » ? Pour Marthe Rubio, la similitude ne fait aucun doute : « […] onze ans après , les "cacerolazos" ont massivement retenti dans les rues de Buenos Aires, la capitale, mais aussi dans d’autres villes du pays comme Mendoza, Rosario, La Plata, Cordoba, Santa Fe y Bariloche ». Et comme ses consœurs deux mois et demi auparavant, elle assimile une nouvelle protestation occasionnelle de l’opposition en 2012 à ce qu’elle reconnaît par ailleurs comme « […] la multiplication des "cacerolazos" [qui] avait abouti, entre autres, - et « à l’époque », c’est à dire en 2001 - à la démission du président de la république, Fernando de la Rua  »…

Et alors, « Negro » ou pas ?

Amalgamer, pour les comparer, des mobilisations hétérogènes, fût-ce au prix d’approximations historiques et avec une grande désinvolture dans l’analyse des particularités des mobilisations en cause, ne suffit pas : pour tenir son angle, la journaliste doit s’efforcer de démontrer que ces manifestations ont un caractère « massif » et « populaire ». C’est d’ailleurs ce que laisse entendre le premier intertitre, alors que la suite dit le contraire : Tous "Negro", Tous contre "K" ».

Une suite dont la suite laisse pour le moins perplexe :

« Si les journaux argentins parlent de manifestants majoritairement issus de la classe moyenne , les participants à ce "cacerolazo" massif avaient des profils très variés , décrit le journal de gauche Pagina12. "Hommes, femmes, jeunes, vieux, vêtus de costumes impeccables ou de bermudas, les manifestants n’avaient que peu de choses en commun, si ce n’est celui de ne pas être ’negro’, (d’une classe populaire), et de protester contre ’K’ (Kirchner)", rapporte le journal ».

La construction étrange de cette phrase laisse entendre que, à la différence des journaux argentins, pour Página 12 les manifestants étaient si divers qu’ils n’avaient pas en commun d’être issus de la classe moyenne. Ou bien que la classe moyenne est si diverse qu’elle compte… des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux. Ou bien qu’ils n’avaient en commun de ne pas être « negro » (d’une classe populaire). Donc d’être… majoritairement issus de la classe moyenne. Non [4] ?

Notre incompréhension est d’autant plus grande qu’il suffit d’être hispanophone et de suivre le lien hypertexte pour découvrir la phrase exacte : « “El que no salta es negro y K.” La consigna, coreada por un centenar de hombres y mujeres, jóvenes y viejos, prolijamente trajeados o en bermudas y musculosa, definía a la perfección el universo de manifestantes : ni negros ni kirchneristas [5] ». La mention selon laquelle « les manifestants n’avaient que peu de choses en commun », est absente de la source qui souligne très exactement ce que les manifestants avaient commun – « leur « univers » : « ni negros ni kirchneristas. ». Un « univers » que Página12 illustre, non sans parti pris, par cette photo :


Finalement, que nous a appris jusqu’ici et plus ou moins volontairement, l’article du Monde ? Que les manifestants de 2012, issus de la classe moyenne, savent eux aussi, comme les manifestants issus surtout des classe populaires de 2001, taper sur des casseroles.

Maladresse ou malveillance ?

N’est-il pas étrange de soutenir une chose (les manifestants sont « de profils très variés ») en citant une source locale qui affirme le contraire ? Doit-on y voir un seul fait de maladresse de la part de la rédactrice au moment de la traduction de la source locale… ou plutôt de son adaptation ? N’est-il pas surprenant d’attribuer à Página 12 - un quotidien argentin - un constat différent de celui… des autres journaux argentins, alors que pourtant, il le recoupe ? N’est-ce pas quelque peu culotté de citer ce « journal de gauche Pagina12 » plutôt connu pour son soutien au gouvernement pour lui faire dire presque le contraire de ce qu’il dit ? Il n’est guère étonnant dans ces conditions que ce même Página 12 s’en prenne dans ses colonnes au traitement de la situation en Argentine par le Monde [6].

Souligner les différences entre les mobilisations de 2001 et de 2012, ce n’est en rien défendre le gouvernement de Cristina Kirchner. En revanche, ne retenir que de superficielles ressemblances, c’est assurément sous informer sur la situation actuelle et ne rien donner à comprendre : simplement donner l’impression, en le comparant à celui de 2001, que l’on a affaire à un mouvement « populaire » (sans l’être vraiment) et « massif » (mais moins qu’en 2008).

Une chose est sûre : « […] le "cacerolazo" de ce 13 septembre a mis en lumière l’animosité d’une partie de la population du pays envers Cristina Kirchner ». Quelle découverte !

Nils Solari

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