Argentine : la justice suspend le démantèlement du groupe Clarin

La guerre qui fait rage à Buenos Aires, depuis cinq ans, entre la présidente péroniste Cristina Kirchner et Clarin – le principal groupe de presse argentin et l'un des plus puissants d'Amérique latine – s'accompagne désormais d'un conflit inédit entre le pouvoir exécutif et la justice.

Une banderole Clarin ment est suspendue sur l'immeuble de l'institut national de la statistique, le 14 novembre à Buenos Aires.

Le gouvernement péroniste a fait appel, vendredi 7 décembre, devant la Cour suprême, d'une décision judiciaire favorable à Clarin, qui suspend l'application d'une nouvelle loi des médias visant à obliger le groupe médiatique, taxé de monopole, à se défaire de la plupart de ses moyens de communication.

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Ce recours exceptionnel cherche à annuler un arrêt du tribunal civil et commercial qui, malgré les pressions gouvernementales, s'est rangé, au dernier moment, vendredi, aux arguments de Clarin, suspendant le démantèlement du groupe jusqu'à ce qu'un jugement définitif soit pris sur la constitutionnalité de la loi des médias, très controversée.

C'EST UN DUR REVERS POUR LA PRÉSIDENTE

C'est un dur revers pour Mme Kirchner, qui comptait lancer le processus de transfert et d'appels d'offres dès le 7 décembre, délai fixé, en mai, par la Cour suprême pour l'application de la nouvelle législation. Depuis de longues semaines, l'ultimatum du "7 D" (le 7 décembre) était vécu par les Argentins comme une bataille décisive, non seulement entre le gouvernement et Clarin, mais aussi entre partisans et détracteurs de Mme Kirchner.

La nouvelle législation, destinée à remplacer la loi de radiodiffusion de 1980, héritée de la dictature militaire (1976-1983), a été approuvée à une large majorité au Congrès en 2009. Elle limite le nombre de réseaux de télévision par câble, de chaînes et de radios pour un même groupe, notamment Clarin, critique à l'égard du gouvernement.

L'opposition soupçonne le gouvernement de vouloir bâtir un réseau de médias acquis à sa cause, sous prétexte de lutter contre les monopoles.

"Clarin ment" est le slogan reproduit sur des affiches dans les rues de Buenos Aires. Mme Kirchner, qui attaque régulièrement les journalistes et une partie de la presse privée qui ne sont pas acquis à sa cause, a transformé Clarin en son principal ennemi, l'accusant "de démoraliser les Argentins et de semer la peur".

UN CHIFFRE D'AFFAIRES DE 1,6 MILLIARD D'EUROS EN 2011

C'est pourtant son prédécesseur et mari, Nestor Kirchner (2003-2007), décédé en octobre 2010, qui avait favorisé Clarin en l'autorisant à devenir propriétaire des deux plus grandes compagnies de télévision par câble.

Que s'est-il passé entre-temps ? Certains situent la rupture en 2008. Cristina Kirchner avait accusé Clarin de soutenir la cause des agriculteurs, qui ont protesté pendant quatre mois pour refuser des augmentations des taxes à l'exportation. D'autres évoquent un refus du patron de Clarin, Hector Magnetto, de permettre aux Kirchner de devenir actionnaires du groupe.

"Le gouvernement ne considère pas la liberté d'expression comme l'un des piliers de la démocratie", s'inquiète Norma Morandini, journaliste et sénatrice du Front progressiste (centre gauche).

En revanche, pour l'un des directeurs de l'Autorité fédérale des services de communication audiovisuelle, Eduardo Seminara, la loi "permettra une plus grande diversité dans un pays où la concentration des médias est très forte". Il indique que Clarin "contrôle 70 % du marché des médias, soit environ 500 compagnies".

RSF EST EN FAVEUR DE LA NOUVELLE LOI ARGENTINE

Le chiffre d'affaires du groupe – qui possède le quotidien Clarin, le plus grand tirage dans le pays, 10 stations de radio, 4 chaînes de télévision, 240 signaux de télévision par câble et des fournisseurs d'Internet – a été de 1,6 milliard d'euros en 2011, en hausse de 27,80 % par rapport à l'année précédente.

Reporters sans frontières (RSF) s'est également prononcé en faveur de la nouvelle loi argentine, "la première dans son genre à réserver 33 % des fréquences aux organisations à but non lucratif", estimant "qu'il s'agit d'un gage important d'équité et de pluralisme". RSF déplore néanmoins un climat délétère et une polarisation idéologique dont souffrent les journalistes qui, à la moindre critique envers le gouvernement, sont accusés de putsch, de "déstabilisation" ou "d'incitation au délit".

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