Le 6 août, l'Argentine tout entière était en émoi. Estela de Carlotto, 83 ans, présidente de l'association des grands-mères de la place de Mai venait de retrouver son petit-fils, enlevé à la naissance il y a trente-six ans par la dictature de Jorge Videla. Au lendemain de l'explosion de joie suscitée par la nouvelle, une partie de la famille de « la grand-mère des Argentins » s'en prend par voie de presse à la juge fédérale chargée du dossier, María Servini de Cubría, pour avoir laissé filtrer le nom du désormais très médiatique 114e bébé retrouvé, Ignacio Hurban.
Il aurait dû n'être connu du grand public que sous le nom que lui avait donné sa mère avant qu'elle ne soit assassinée par la junte, Guido Montoya Carlotto. « L'association prend beaucoup de précautions avant de diffuser l'identité des petits-enfants récupérés, car les grands-mères savent qu'ils viennent de subir un choc énorme », explique le quotidien El Diario de Cuyo. Pourtant « cette fois, c'est la juge elle-même qui a diffusé son nom ». Une première.
Peut-être parce qu'il s'agit du petit-fils d'Estela de Carlotto, la plus symbolique de ces centaines de grands-mères courage, osent certains. Horacio Pietragalla, fils de disparus lui aussi récupéré par les grands-mères de la place de Mai, estime dans les colonnes de La Nación « que la juge a commis une grosse erreur (...) pour une histoire d'ego ».
LA FAMILLE MÉCONTENTE
La presse s'est rapidement ruée sur les informations disponibles sur le site Internet et sur le compte Twitter du musicien de 36 ans. Marié, résident de la ville d'Olivarria, supporteur du club de foot River... Une foule de détails sur la vie d'Ignacio Hurban a été fournie à la population, jusqu'à l'identité des parents qui l'ont élevé, des ouvriers agricoles n'ayant pourtant visiblement pas de liens avec la dictature. Dans la presse, à la télévision, de nombreuses photographies de lui ont été comparées avec celles de ses parents biologiques, assassinés.
Les propres enfants d'Estela de Carlotto ont exprimé leur mécontentement. Le quotidien Excelsior raconte le désarroi de Claudia Carlotto, fille d'Estela de Carlotto, mais également présidente de la Conadi, la commission nationale pour le droit à l'identité. « Si je ne lui avais pas téléphoné, il aurait appris la nouvelle par la télévision. Et plus que tout, il a besoin de sérénité ». Son frère, Remo Carlotto, député du parti de la présidente, Cristina Kirchner, a lui aussi questionné publiquement le travail de la juge fédérale : « La diffusion de son nom ne va pas faciliter nos retrouvailles. »
Estela de Carlotto, qui a enfin pu serrer son petit-fils dans ses bras lors d'une rencontre à huis clos, reste elle très discrète sur le sujet, tout comme la juge María Servini de Cubría, et le principal intéressé, qui pourrait s'exprimer sur les réseaux sociaux quand il sera prêt. Son compte Twitter est désormais suivi par plus de vingt mille personnes.