Récemment élu, Mauricio Macri s’illustre depuis par des mesures et des méthodes de choc, notamment dans le domaine des médias. Quelles sont-elles et comment les analysez-vous ? S’agit-il, comme certains l’affirment, d’un coup porté à la liberté d’expression ?
Dans un silence médiatique international relativement notable, le nouveau président de droite Mauricio Macri a très vite pris de nombreuses décisions, sans débat, notamment concernant la situation des médias argentins. Premièrement, il a décidé de licencier, par non renouvellement de contrats, une série de journalistes parmi les plus connus dans les médias publics télévisés et radios qu’il jugeait trop proches de l’ancien gouvernement. Il a également annoncé le principe d’une vaste reprogrammation des contenus. Par ailleurs, il a annoncé dans les médias privés la fin des aides du gouvernement sous forme d’annonces publicitaires qui permettaient à une série de journaux de la presse écrite argentine de sensibilité de gauche de vivre.
Sa décision la plus forte est la modification, par décret signé le 4 janvier 2016, de la loi des médias, très importante en Argentine. Celle-ci, adoptée sous le gouvernement de Kristina Kirchner en 2009, était très observée et étudiée au niveau international par les gens s’intéressant à la question médiatique, car il s’agit d’une loi de déconcentration médiatique qui réglementait, régulait et fixait des limites au phénomène de concentration des groupes privés dans les médias (presse écrite, audiovisuelle, radios et numérique). Elle divise le champ médiatique en trois secteurs à qui elle attribue des espaces identiques : le service public, le secteur privé, le tiers secteur (associations, médias communautaires, etc.) Cela avait affecté les intérêts des groupes privés dont M. Macri est proche, notamment le puissant Groupe Clarin. Il faut se rappeler que Clarin a toujours été l’une des forces les plus mobilisée contre les gouvernements Kirchner. La modification par décret du président Macri - qui s’accompagne de l’annonce de dissolution de divers organismes de régulation des médias -, intervient donc sans aucun débat, levant les restrictions que la loi comportait au regard de cette question de la concentration de la propriété des médias. Cela signifie que le spectre médiatique argentin va de nouveau se retrouver sous la domination de groupes privés, en particulier du groupe Clarin. Ce groupe autrefois visé se retrouve aujourd’hui dans une position très avantageuse et dispose d’un relais direct aux plus hautes responsabilités de l’Etat.
Ces mesures inquiètent et provoquent des réactions en Argentine. Deux magistrats remettent en cause la légitimité de ce décret et considèrent que cette question des médias doit être l’objet d’un débat, au moins mené au sein du Parlement. Beaucoup de voix s’élèvent contre ce retour en arrière, notamment le prix Nobel Adolfo Pérez Esquivel, qui considère qu’il s’agit d’une forme de reprise en main du pouvoir médiatique par le gouvernement. On pourrait toutefois dire la même chose, à raison, vis-à-vis du précédent gouvernement. En Argentine, les médias font traditionnellement l’objet d’une confrontation politique avec une immersion assez directe du pouvoir politique. En réalité, les médias sont un champ du combat politique dans ce pays. Mais il s’agit cette fois ci d’un signal important car Macri avait affirmé qu’il veillerait à ne pas être dans un registre de revanche, notamment de ce point de vue-là. C’est la manifestation qu’il passe à l’offensive dans le pays.
Comment se manifeste le débat en Argentine autour de la subordination des médias au président de la république ? Cette stratégie du choc caractéristique d’un virage néolibéral peut-elle déboucher sur des mouvements de contestations populaires ?
Comme évoqué précédemment, il y a en Argentine une tradition de relation assez directe entre le pouvoir politique et le pouvoir médiatique. M. Macri adopte une stratégie de polarisation assumée, contrairement à ce qu’il avait laissé entendre. Il y a également eu des licenciements d’un certain nombre de dirigeants d’organismes de régulation médiatique, qui ont été directement mis dehors sans ménagement. Et, sur le plan judiciaire, le président de la République a directement nommé deux magistrats à la cour suprême, du jamais vu en Argentine.
La polarisation politique assumée du président s’accompagne par ailleurs par une tentative de restauration du libéralisme en Argentine. Il a en effet annoncé une dévaluation avec perte conséquente du pouvoir d’achat pour les Argentins, une politique fiscale très avantageuse pour les lobbies de l’agro-industrie argentine. Il y a également des craintes sur le maintien des augmentations salariales obligatoires pour compenser l’inflation. Le terrain salarial et social sera le prochain théâtre des opérations pour le gouvernement. Plus d’austérité, moins de protection des droits des salariés, c’est le cap qui se dessine.
Au niveau régional, Macri donne des signaux pour que l’Argentine s’insère dans des accords de libre-échange internationaux. Il est toutefois trop tôt pour dire si toutes ces mesures vont advenir. Macri doit gouverner avec une Chambre des députés et un Sénat toujours majoritairement kirchneristes.
La grande inconnue est la réaction populaire. Il y a désormais des manifestations qui rassemblent des milliers de personnes à Buenos Aires contre la modification de la loi des médias (une fois de plus sans que nos médias en parlent). Toutefois, il n’y a pas aujourd’hui de réactions massives à l’échelle de tout le pays. Elles sont pour l’heure avant tout spécifiques et sectorielles (médias, journalistes, travailleurs). Il n’y a pas actuellement de mouvement social qui se serait organisé pour s’opposer au gouvernement Macri. C’est un aspect qu’il va falloir suivre car cela serait un élément qui pourrait animer la vie politique argentine dans les prochains mois.
Quels sont les objectifs et perspectives politiques du président Macri ?
Sur le plan national, il s’agit de libéraliser l’économie, de revenir sur l’orientation précédente qui conférait à l’Etat un rôle d’acteur économique intérieur qui assurait une relance de l’économie par la consommation et la redistribution comme modèle de croissance. Avec Macri, on se dirige vers une libéralisation des secteurs les plus performants de l’économie argentine pour stimuler la production vers l’exportation sur les marchés internationaux. Son orientation est donc l’insertion de l’Argentine dans les courants dominants du libre-échange et du commerce international, avec un relâchement de l’engagement argentin avec ses partenaires régionaux, en particulier avec le MERCOSUR. Le nouveau président s’engage également en faveur d’un rapprochement économique et commercial avec les pays de l’Alliance du Pacifique (Mexique, Colombie, Pérou et Chili). Ce sont les quatre pays les plus libéraux sur le plan économique, et les plus favorables aux intérêts des Etats-Unis dans la région. Monsieur Macri a clairement indiqué qu’il souhaitait se rapprocher de l’Alliance du Pacifique pour développer ses relations économiques à l’avenir. Ce faisant, il fait un pas pour se rapprocher de Washington.
M. Macri rencontrera le vice-président américain Joe Biden au Forum économique de Davos (21-23 janvier) avant de rencontrer Barack Obama, certainement en mars.
Source : www.iris-france.org
Illustration : Mauricio Macri