Marita Cozzarin l'a payé d'un divorce
et du départ de l'une de ses deux filles de la maison. Elle est à présent en couple avec un Nord-Américain qui, dit-elle, "est bien
pire que moi".
Cette femme ne manque pas de tempérament. C'est une
passionnée – ses origines italiennes, sans doute. Energique, elle porte beau
ses 56 ans, avec une attitude volontaire. Cette ancienne secrétaire de direction qui habite le très
élégant arrondissement Vicente López, vit essentiellement du loyer des deux
propriétés dont elle a hérité et dépense absolument tout son argent pour les
chats.
Un beau jour, en allant se promener
au Jardin botanique de Buenos Aires, elle a vu une jeune fille avec
un sac à dos et des sacs en plastique dont elle tirait de la nourriture,
qu'elle distribuait à toute une colonie de chats.
"Comment
pourrais-je aider ? lui ai-je demandé. Je vous laisse imaginer la tête
qu'elle a faite", raconte-t-elle en se rappelant l'expression de surprise de
cette bonne fée solitaire. A cette époque, en 2006, quelque quatre cents chats
erraient en liberté dans le Jardin botanique et quatre personnes venaient s'en occuper. Aujourd'hui, il reste une
centaine d'animaux pour une trentaine de bénévoles, des femmes pour la plupart.
Marita et son groupe viennent
distribuer tous les jours huit kilos de croquettes à leurs protégés, ainsi que
deux grandes boîtes de pâtée pour ceux qui ne peuvent pas mâcher. A quoi
s'ajoutent les frais de médicaments et de vétérinaire. En tout, Marita et ses
camarades investissent (ou jettent par la fenêtre) près de 10 000 pesos [1 400 euros] par
mois.
"Parce que c'est ma passion"
La Commission de protection des chats
du Jardin botanique (page Facebook ¡Hacé feliz a un gato! [rendez un chat
heureux], suivie par près de 31 000 internautes) finance en grande partie
cette initiative, qui ne bénéficie d'aucune subvention ni bourse. Elle participe
à certains événements comme le Cat Fest – une sorte de
foire aux produits artisanaux, tous centrés, bien entendu, sur le thème du chat
et conçue pour lever des fonds -, auxquels collabore parfois une marque
célèbre. Mais dans l'ensemble les entreprises rechignent à associer leur nom
aux chats de gouttière.
La mairie de la capitale, quant à elle, apporte son
soutien en s'abstenant d'intervenir. Elle a tout de même
autorisé l'association à utiliser une vieille guérite abandonnée et à demi détruite, à peine assez grande pour y ranger les sacs de nourriture et quelques cages pour
les urgences. Le réseau s'est réparti les tâches par groupes, certains
étant chargés de l'alimentation au quotidien. S'il y a des urgences, des
blessés, de nouveaux chats ou des chatons abandonnés à leur sort, on les emmène
chez le vétérinaire.
"Pourquoi fais-tu
cela ?" demandé-je à Marita. "Parce
que c'est ma passion. Mon premier mari, un homme très gentil mais qui n'avait
jamais eu le moindre animal domestique, ne comprenait pas ce qui me passait par
la tête. A un moment donné, j'ai recueilli vingt-neuf chats dans mon
appartement. Aujourd'hui je n'en ai plus que quatre, plus un en séjour
temporaire. C'est qu'au début on se laisse emporter par une sorte de rage
mêlée de culpabilité et de tristesse : on voudrait être Dieu et les sauver
tous. Je reconnais qu'il y a de quoi être choqué, mais quand je vois un gamin
qui mendie ou un chat abandonné, je ne fais ni une ni deux, je m'occupe du
chat. Parce qu'un animal n'a personne, il est totalement désemparé. J'ai fait
de longues années de thérapie, je sais de quoi je parle."
Vie de couple compliquée
Alberto Leal vit avec quinze chats
dans un duplex de deux étages du quartier résidentiel de Villa Urquiza.
Comptable et docteur en économie, Leal est
juge [spécialiste des races félines qui peut décerner des certificats de conformité au standard de telle ou telle race] pour The International Cat Association (TICA) et la World Cat Federation
(WCF), responsabilité qui lui a permis de parcourir le monde. Il est par
ailleurs propriétaire de Coventgarden, prestigieux élevage de chats persans et
autres espèces exotiques. Il avait même ouvert un commerce d'objets d'art et
d'antiquités sur le thème des chats, Gatopolis, dans le très élégant quartier
de San Telmo, mais la boutique n'a pas duré très longtemps.
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