María se demande parfois s'il faut
qu'elle retourne en thérapie. Au mois de décembre, profitant des vacances de
l'été austral, elle a pris congé de son analyste. Elle était en larmes, avait cessé de trouver un sens aux
séances hebdomadaires. Après huit années passées à s'installer dans un fauteuil – "Je n'ai jamais fait de divan",
précise-t-elle –, elle s'est dit qu'il était temps de mettre fin à son analyse.
"Ce n'était pas le meilleur moment,
reconnaît-elle. De fait, je me sentais – et je me sens encore – très
déprimée, mais j'ai eu le sentiment que l'analyse n'avait plus de réponses à
m'apporter. Et puis ma situation économique n'était pas bonne."
Cette conversation avec Marie,
50 ans et dont le fils est en plein âge ingrat, se déroule naturellement.
En Argentine, le pays au plus grand nombre de psychologues par habitant de la
planète, il est fréquent que les gens parlent de leur thérapie. En 2005, une
étude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait que le pays
comptait 106 psychologues pour 100 000 habitants. Ce chiffre est
aujourd'hui multiplié par deux. Pas moins de 46 % d'entre eux exercent à
Buenos Aires, la capitale de la psychanalyse (thérapie longue), de la psychothérapie (traitement court et ciblé) et de toute une
gamme de soins psychologiques obéissant à différentes écoles de pensée.
Juan Pablo, chargé de relations
publiques connu en Argentine, observe : "La psychanalyse permet de
changer le regard sur soi-même et sur le monde. Nul n'est besoin d'être désespéré
pour consulter un analyste, comme le pensent les Espagnols. Dans mon cas, je
conçois cela comme un exercice intellectuel."
Ce cinquantenaire, père de trois enfants, poursuit ainsi sa réflexion : "C'est
comme tout, dans la vie, il faut s'offrir des plages de repos. Avec le temps,
on y trouve plus d'avantages que ceux qu'on appréciait déjà."
Quartier dédié
Le goût – voire l'enthousiasme – des
habitants de Buenos Aires pour le divan a contribué au développement de Villa
Freud, le quartier où se concentre le plus grand nombre de psychanalystes par
mètre carré et dont l'épicentre se trouve sur la Plaza Güemes.
Graciela, 60 ans, a le sien
dans l'une de ces rues. "Je ne conçois pas la vie sans la psychanalyse, explique-t-elle. Je consulte depuis que j'ai
16 ans. J'ai demandé à mes parents de me la financer." Sociologue reconnue et
accro au divan, elle n'a aucune idée des sommes qu'elle a laissées au fil de
toutes ces années, mais "je considère que c'est un argent bien
employé. Je ne regrette pas. Au contraire, je paie avec plaisir."
"Les tarifs de l'analyse varient
en fonction du thérapeute, souligne Mariano
Pujana, psychanalyste et professeur de psychologie à l'université de Buenos
Aires (UBA). Mais une bonne partie des mutuelles remboursent les
traitements psychologiques, et les hôpitaux proposent une assistance gratuite." En moyenne, la séance coûte entre 200 et
400 pesos (entre 30 et 60 euros), mais certains analystes demandent
jusqu'à 700 pesos (100 euros).
Pujana appartient au Forum analytique
du Río de la Plata. "En Argentine, pour exercer en tant que psychanalyste, rappelle-t-il, il faut suivre des cours de spécialisation. Il n'y a pas à être diplômé en médecine ou en
psychologie. Un physicien ou un chimiste peuvent devenir psychanalystes, mais plus
de 90 % d'entre nous sont psychologues de formation."
Annick Gómez, 25 ans, relève de ce dernier cas de figure. Elle vient d'ouvrir
sa consultation privée. Freud est sa référence indiscutable. "Je
crois en la psychanalyse à l'état pur, tant sur la forme que sur le fond, commente-t-elle. La psychanalyse, c'est un
divan, la règle de libre association et la fréquence des séances. Je ne
m'occupe pas d'un patient autrement." Les
raisons de son orthodoxie sont claires à ses yeux : "Je ne connais
pas de meilleure méthode pour tenter de soulager la souffrance d'un patient."