Anne-Audrey Seguin, chanteuse et guitariste, devenue comédienne sur le tard, sillonne depuis cinq ans l'Argentine. Rien ne prédestinait pourtant cette Bretonne à écumer les scènes d'Amérique du Sud. Après cinq ans d'itinérance, l'aventure touche bientôt à sa fin.
Fin février, assise à la terrasse d'une brasserie, elle commande un café. Un americano. La peau dorée, le cheveu ambré, la jeune Bretonne achève son été à La Plata, ville côtière située à une cinquantaine de kilomètres au sud de Buenos Aires. Débarquée il y a bientôt cinq printemps en Argentine, Anne-Audrey Seguin, 28 ans, le martèle dans un français devenu parfois hésitant : « J'ai toujours voulu travailler dans la musique ». Volubile, la guitariste et comédienne au débit mitraillette regarde dans le rétro. Elle y voit un itinéraire tortueux balisé par le chant et le théâtre.
Un parcours sud-américain initiatique
Née à Vannes (56), Anne-Audrey a passé une partie de son enfance dans la cité des Vénètes avant de rallier les bords de Loire, à Basse-Indre, dans la banlieue de Nantes. Après le lycée, elle s'installe à Rennes pour intégrer une licence en Arts du spectacle. « Histoire d'être toujours plus proche de la musique », lâche-t-elle, un brin désinvolte. Une fois le diplôme en poche, libérée, elle se découvre routarde. Cap au sud, direction l'Amérique latine, façon parcours initiatique. Le Pérou, la Bolivie puis l'Argentine, à deux reprises.
Elle s'établit une première fois au pays du tango pour réaliser un mémoire sur le théâtre local. « Anita », comme la surnomment ses proches, devait suivre une troupe, en qualité d'observatrice. Mais la veille d'un spectacle, une actrice fait défaut pour une représentation. On lui demande de la remplacer au pied levé. Elle s'exécute, à reculons. « Aujourd'hui, je peux dire que ça a été un déclic. Je ne le regrette pas ».
En 2010, Anne-Audrey achève son mémoire à Rennes et vient s'installer pour de bon de l'autre côté de l'Atlantique. S'en suivent des « expériences humainement très riches ». Atteinte de bougeotte chronique, elle tombe sur la troupe idoine. Et trace la route : pampa, Chili, sud de la côte argentine...
Du théâtre politique
À chacun de ses déplacements, l'envie de monter sur scène surgit. Molière, Racine, très peu pour elle. Sa ritournelle : le théâtre communautaire. Un genre né en Argentine au début des années 1980, sur les cendres de la dictature. L'idée consiste à rassembler plusieurs dizaines de voisins pour parler de l'identité du quartier et des problèmes du quotidien. Un exutoire pour les sans voix. Cette forme de théâtre connaît aujourd'hui une deuxième jeunesse. Le clientélisme, la corruption des hommes politiques, la crise économique et la grande pauvreté lui donnent toujours plus de vitalité. Le théâtre communautaire correspond à une forme d'engagement pour Anne-Audrey Seguin. « Ce n'est pas de la politique mais c'est politique. On est tous au même niveau. Il y a un fonctionnement horizontal. Le processus de création est aussi important que la représentation finale elle-même ». Intarissable sur le sujet, elle atténue l'importance de son rôle dans la troupe. Celui d'une guitariste chargée de mettre le tout en musique. La musique justement, son sacerdoce à elle. « Elle se sent plus à l'aise comme chanteuse et guitariste. C'est son véritable terrain d'expression. Anita arrive à transmettre énormément d'émotions », confie Maria Ibarlin, l'une de ses amies comédiennes.
Peur de la routine
Anne-Audrey a commencé à composer avant son départ pour le Nouveau Monde. Lorsqu'elle fredonne, l'influence Jeanne Cherhal se révèle indéniable. Dans ses morceaux, elle se raconte, met en scène des quotidiens. Le couple adultérin, le beauf, le temps qui passe. Une poignée de ses créations ont été jouées dans les murs de l'Alliance française, l'organisme chargé de la coopération culturelle bilatérale entre l'Argentine et la France. Un échange qu'elle poursuit à sa sauce. Elle s'est inscrite dernièrement à l'université de La Plata, option musique populaire. En parallèle, elle entame la création d'un répertoire de chansons franco-argentin en compagnie d'une artiste de Buenos Aires.
Malgré de nombreux projets, l'heure de la fin de cette parenthèse enchantée va bientôt sonner. Le retour est programmé en juin. En cause, les finances, un peu, l'envie de souffler, surtout. « C'est plus difficile de vivre de la culture ici. Beaucoup plus qu'en France. Faire tourner les pièces, cela demande beaucoup d'énergie ». Et d'ajouter : « J'ai envie de sortir d'une certaine routine, de reprendre la route, de voyager. Pourquoi ne pas porter cette forme de théâtre ailleurs. En Asie, en Afrique. Qui sait ? ».